Tulipomanie : Une obsession hollandaise pour la tulipe. (Première bulle spéculative de l’histoire).




Depuis des siècles, la tulipe fascine aux Pays-Bas. La tulipe est avant tout une fleur d’orient qui a symbolisé la noblesse et la richesse dans tout l’Empire Ottoman. Au 18e siècle, elle a été l’emblème d’une période surnommée « l’Age des tulipes ». Une époque où la haute société ottomane a pris goût pour cette fleur du mot tülbend en turc. La tulipe a donc été l’attrait de nombreuses civilisations dans l’histoire. Toutefois, concentrons-nous sur les Provinces-Unies du 17e siècle et sur une crise financière qui est l’emblème de cette « mania ». Une manie qui a pris place dans les grandes villes de la province hollandaise, Haarlem ou encore Amsterdam dans les années 1630. Ainsi à travers des extraits de trois ouvrages (Une brève histoire des crises financières de C. Chavagneux ; Famous first bubbles : The fundamentals of early manias de Peter M. Garber ; Tulipomnia de A. Goldgar) nous allons tenter de comprendre comment une simple fleur (« the most improbable of objects »[1] (P.4) comme le précise A. Goldgar) a pu susciter tant de « folie » ? L’historien néerlandais Theodrus Schrevelius parle en 1638 d’un « spirit was called up from hell »[2] (P.3). Nous allons répondre à cette interrogation tout en gardant une position critique par rapport à ces ouvrages.

Pour commencer, les trois auteurs soulignent l’importance du contexte dans l’élaboration de cette « tulipomania ». En effet, au 17e siècle, à la sortie de nombreuses guerres contre l’Espagne, les Provinces-Unies vont s’imposer en tant que puissance mondiale majeure. D’autre part la province hollandaise se démarque avec un commerce et une économie fleurissants. Peter M. Garber dit : « The Dutch were to seventeenth-century trade and finance as the British were to nineteenth century trade and finance. »[3] (P.22). Cette situation a bien évidemment été favorable à la spéculation. Ensuite, Peter M. Garber développe dans la première section de son ouvrage une théorie bien plus intéressante. Entre 1634 et 1637, la peste touche violement la Hollande, par exemple le virus tue 14% de la population à Haarlem. Ainsi, l’idée du chercheur est que la peur de mourir dans la population a été un facteur déterminant pour pousser les individus à s’enrichir rapidement par la spéculation. La religion a pu jouer un rôle dans l’apparition de cette crise. La religion majoritaire en Hollande à cette époque pour C. Chavagneux est une caractéristique favorable à cette crise. La hollande était un territoire avant tout protestant. En effet, les travaux de Weber montrent que la religion protestante et notamment la branche calviniste ont été favorables  à la naissance du capitalisme. Cette religion ne condamne pas la richesse et dans le cas du Calvinisme l’accumulation de ressources est même essentielle. De plus, dès leur naissance, les hommes seraient prédestinés à atteindre le paradis ou l’enfer. Par conséquent, la spéculation sur les tulipes était un pari qui devait éclairer les investisseurs sur leur futur. Si, la spéculation les rendait riches, les Protestants pouvaient voir un bon présage et inversement.

Au-delà du facteur économique, un aspect psychologique rentre en compte dans la compréhension de ce phénomène.  C. Chavagneux fait remarquer que cette crise n’a pas eu de véritable conséquence économique. Selon Peter M. Garber certains ouvrages historiques du 20e siècle ne mentionnent même pas cette bulle spéculative. Notamment The Cambrige Economic History of Europe. Par conséquent, A. Goldgar pose une question intéressante qui va être reprise par C. Chavagneux dans son ouvrage : « Pourquoi cette spéculation a-t-elle tant marqué les esprits de l’époque au-delà, au point de souvent revenir dans les débats hollandais et de figurer dans la vitrine des grandes crises de l’histoire ? » (P.28). Ainsi, pour répondre à cette interrogation, c’est la piste de la mentalité qui va être suivie. C. Chavagneux rajoute que selon A. Goldgar cette crise reflète de la « manie hollandaise de parier sur tout et n’importe quoi » (P.21). Un appât du gain représenté par le peintre néerlandais Jan Brueghel le Jeune dans une satire mettant en scène une assemblée de macaques. Mais ne serait-ce pas une manie humaine ? Parler de manie simplement hollandaise paraît un peu juste pour expliquer un phénomène tel que la « tulipomania ». On peut penser qu’un aspect psychologique est aussi important que l’aspect social et économique. Contrairement à une vision économique qui veut que l’homme soit toujours « rationnel ». Peut-on parler ici de rationalité dans cette folle spéculation ? Ainsi, cette idée de « manie hollandaise » aurait pu être expliquée par des exemples et des explications purement psychologiques.  

Jan Brueghel le Jeune, Satire de la Tulipomanie, Haarlem, Frans-Hals-Museum.

Cependant, l’objet qu’est la tulipe est bien évidemment responsable de cette obsession. En effet, en Hollande, à cette époque, la tulipe était une fleur rare et exotique. La tulipe possède la caractéristique d’avoir des milliers de variétés. Certaines espèces de tulipes étaient véritablement précieuses. Le botaniste Joost van Ravelingen disait : « The more variety there is, the more beautiful the flowers are.  »[4](P.40). A côté de ces diverses variétés, une maladie particulière semblait sublimer les fleurs. Ces fleurs infectées étaient appelées en anglais les « broken tulip ». Ce nom fait référence aux différentes couleurs que les pétales partagent. Les botanistes du 17e siècle pensaient faire face à d’autres types de tulipes. En réalité, ces tulipes « multicolores » étaient atteintes par le virus de la panachure de la tulipe, en anglais le « tulip breaking virus ». A la manière des palais de l’orient, la tulipe prenait de la valeur par sa multiplication de couleur grâce à cette maladie. 

Jacob Marrel, Two Red and White Tulips 17th century.

Ce niveau de rareté différent selon les tulipes était très recherché sur le marché des villes de la province. La tulipe comme sous l’Empire Ottoman était signe de richesse. Et dans une société oligarchique qui tourne autour d’une élite économique, les riches individus voulaient mettre en avant leur fortune. Plus ils possédaient des variétés rares plus leur niveau social était élevé. On comprend donc pourquoi cette fleur a pu susciter tant d’admirations et d’engouement. Une demande essentielle dans la mise en place de cette bulle spéculative.

            Pour faire court, la « tulipomania » a créé un véritable mythe autour de cette fleur. Nous avons compris par quels moyens une bulle spéculative s’est formée autour d’une simple fleur. L’ouvrage d’A. Goldgar, livre de référence sur ce thème, m’a permis de développer les attraits de cette fleur. Tandis que, les deux autres ouvrages de C. Chavagneux et de Peter M. Garber m’ont permis d’observer les éléments nécessaires au niveau du contexte économique et psychologique pour la création d’une obsession si particulière. Cependant, un problème apparait dans chaque ouvrage, un problème relevait par nos auteurs. Les sources sont peu nombreuses sur cet évènement. Une grande partie des informations proviennent du journaliste Charles McKay et de son ouvrage Memoirs of Extraodinary Popular Delusions and the Madness of Crowds. Et C. Chavagneux met en garde : « Ces documents ont une très nette tendance à exagérer les phénomènes décrits et leurs conséquences ; aussi leurs contenus doivent-ils être utilisés avec prudence. » (P.16). Finalement, la « tulipomania » est restée dans l’imaginaire hollandais à la manière d’une légende. Certaines histoires sur cette période ont marqué les esprits. C. Chavagneux donne l’exemple de la famille Winkel. Avant la hausse des prix en 1634, le père de la famille se lance dans l’exploitation des tulipes. Il meurt rapidement, sachant qu’à l’époque l’espérance de vie n’était pas très élevée. Suite à cela, ces enfants vont arriver dans un orphelinat avec l’héritage des tulipes de leur père. L’orphelinat pouvant toucher 10% de cet héritage va décider d’attendre et de mettre les tulipes en vente le 5 février 1637. Les tulipes vont être vendues pour 21 000 guilders. Par conséquent, ces petites histoires sont restées dans le folklore néerlandais, comme la tulipe qui est restée un symbole très important aux Pays-Bas.

Sources :

·       CHAVAGNEUX, Christian, Une brève histoire des crises financières : des tulipes aux subprimes, Paris, La découverte, 2011.

·       GARBER, Peter M, Famous first bubbles : the fundamentals of early manias, Cambridge (Massachusetts), MIT Press, 2000. 

·       GOLGAR, Anne, Tulipmania: Money, Honor, and Knowledge in the Dutch Golden Age, Chicago, University of Chicago Press, 2008. 








[1] « L’objet le plus improbable », traduction libre.
[2] « Un esprit venant de l’enfer », traduction libre.
[3] « Les Néerlandais étaient à la finance du 17e siècle ce que les Britanniques étaient à la fiance du 19e siècle », traduction libre.
[4] « Plus il y a de variété, plus les fleurs sont belles. », traduction libre.

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