Partie 1 : L'Ayahuasca, de rite chamanique à tradition à la mode

Photo d'un chaman d'Amazonie par le blogueur du site lesacados.com

Comment une plante utilisée par les chamans est-elle arrivée au cœur d'un tourisme chaque jour plus en vogue? Quels sont ses effets et comment est-elle utilisée? C'est en retraçant l'histoire de l'Ayahuasca depuis les tribus amazoniennes jusqu'aux touristes européens que nous répondront à ces questions.

1. L'Amazonie ancestrale

Des populations autochtones...

Les habitants de l'Amazonie ont longtemps vécu en tribus allant jusqu'à quelques dizaines d'individus. De nos jours, nombreux sont ceux qui sont partis vivre dans des villages ou des villes bien que certains continuent de vivre comme les générations les ayant précédé. Vivant au milieu de la forêt vierge, ces humains n'ont eu d'autres choix que d'apprendre à vivre avec celle-ci. Ils ont alors développé un lien particulier avec cette nature, un lien que l'on peut encore voir dans leur conception du monde et leurs rapports à celui-ci. En effet, la nature est très importante pour ces autochtones, qu'il s'agisse des animaux ou des plantes. Par exemple, on retrouve dans leurs langues plusieurs mots pour décrire différentes plantes que tout autre humain ne distinguerait pas les une des autres. Pour eux, chaque être vivant possède une spiritualité qui lui ait propre et qui d'une certaine manière peut entrer en contact avec le monde des Hommes. Cela fait de ces tribus des populations animistes. Ainsi, ils ne vivent pas en profitant de la nature mais avec elle voire à son service puisqu'elle les abrite et les nourrit. Cette manière de vivre a créé un lien très fort conduisant les populations à être à l'écoute de la nature.

Guidées par un chaman

Ces communautés autochtones se regroupent donc logiquement autour de celui qui connait cette nature : le chaman. Le chaman est l'initié, c'est celui qui comprend et communique avec la nature. Le premier rôle que l'on va attribuer au chaman, et peut-être à tort, est le rôle de guérisseur dans la tribu. En effet, d'une part, sa connaissance des plantes lui permet d'effectuer des préparations afin de venir en aide aux souffrants de sa tribu ; d'autre part, on considère de par son lien avec la nature qu'il possède des pouvoirs mystiques lui permettant d'attirer les bonnes faveurs des esprits, permettant ainsi les guérisons. Cependant le rôle du chaman dans la tribu est bien plus important que cela et dépasse de loin le rôle de médecin traditionnel du village. En effet, le chaman est celui qui entend la nature, c'est donc celui qui peut entrer en contact avec les esprits ce qui fait de lui le chef du culte animiste des tribus. Enfin, le chaman a aussi un rôle de sage. Il guérit, connait et parle avec les esprits ce qui fait de lui le chef de la tribu, c'est-à-dire qu'il prend les décisions pour choisir ce qui est bon mais aussi qu'il gère les problèmes internes à celle-ci.

2. Le culte de l'Ayahuasca

Des rites complexes et précis...

L'Ayahuasca chamanique n'est pas utilisée comme une simple drogue et son utilisation en est donc d'autant plus complexe. Il faut en premier lieu faire la différence entre Ayahuasca et ayahuasca : le premier est le breuvage préparé par les chamans en vue d'un rite, le second est une des plantes permettant de former cette boisson. Ainsi, le rite de l'Ayahuasca correspond à un réel parcours visant à reconnecter l'humain avec la nature. Durant tout ce parcours, un régime spécifique, excluant notamment la viande et le sucre, est imposé. L'ingestion d'un vomitif à base de plantes sera donc un préliminaire nécessaire afin de se purifier. Suite à cela, le chaman va s'entretenir avec chaque personne qui va vivre ce rituel. En effet, ceux-ci boiront pendant le rite un breuvage contenant de l'Ayahuasca mais aussi d'autres plantes aux divers effets psychotropes qui auront été choisies par le chaman en fonction de la situation de chacun. Au moment du rituel, à la tombée de la nuit, tous vont se rassembler dans une grande salle où le chaman leur fera boire ses préparations avant de les accompagner par un chant dans leur méditation et transe à la rencontre des esprits de la nature. Tout ce processus sera repris en général 4 ou 5 fois espacées sur un peu plus d'une semaine durant laquelle les temps d'échange et de recueil s'alternent se mettre dans un bon esprit pour l'ensemble du parcours.

... au service de croyances animistes

Cette méditation a pour but d'emmener à la rencontre d'un esprit très particulier puisqu'il s'agit de « Madre Ayahuasca ». Cet esprit souvent représenté sous les traits d'un serpent est supposé se présenter à celui qui le mérite lorsqu'il prend de l'Ayahuasca. Ainsi la rencontre avec Madre Ayahuasca ne se fait pas toujours et même rarement dès la première prise d'Ayahuasca. Tous les témoignages parlent de fusion avec la nature où les humains se reconnectent avec celle-ci. On peut notamment penser au témoignage d'une jeune française qui, lors d'une sécession d'Ayahuasca, a fait corps avec un léopard. Même après la fin de la séance, celle-ci dit se sentir encore parfois léopard et que celui-ci faisait partie d'elle depuis toujours et qu'elle se sent plus complète maintenant. Ainsi les croyances des chamans transparaissent évidemment avec la prise d'Ayahuasca et la libération de l'esprit sert souvent à retrouver une nature supérieure en tout point. Des animaux, des plantes, « Madre Ayahuasca » sous les traits de lianes ou de serpents : les visions sont nombreuses mais fortement marquées par cette sensation de retour à la nature et au sauvage, changeant définitivement la conception du monde.

3. Dispersion du mélange dans le monde

Une ouverture sur l'Amérique du Sud...

Pour les tribus vivant en Amazonie, la prise d'Ayahuasca est donc un acte social, thérapeutique voire religieux depuis des siècles. Cependant avec le temps, les populations se sont regroupées dans les villes et villages. L'Ayahuasca a suivi ces déplacements et les mêmes personnes ont continué de l'utiliser la faisant ainsi connaître dans le reste de l'Amérique du Sud et même jusqu'au Mexique. L'usage qui en est fait s'est en revanche éloigné de celui des chamans. L'ayahuasca est alors généralement consommé pour ces vertus relaxantes et pour son effet psychotrope. Cette substance récréative s'est développée d'une part grâce aux chamans parcourant le continent pour transmettre leur savoir et partager leur culture. D'autre part, d'autres autochtones ont quitté les tribus, emmenant avec eux l'ayahuasca principalement pour leur consommation personnelle. Sortis de la jungle, ils ont alors dû trouver des moyens de s'approvisionner en ayahuasca et c'est ainsi qu'un premier commerce s'est développé autour de la plante. Ces mêmes personnes ont pu faire découvrir l'ayahuasca à leurs proches, tant lors de fêtes avec leurs amis qu'avec leur famille pour s'apaiser.

... amenant l'Ayahuasca dans le monde entier

L'Ayahuasca ne s'est pourtant pas arrêté aux limites de l'Amérique de Sud et si nous le connaissons aujourd'hui en Europe c'est qu'il a beaucoup voyagé. Plusieurs phénomènes ont eu lieu simultanément. D'abord, les mêmes chamans qui parcouraient l'Amérique du Sud ont voyagé plus loin et ont aussi pu rencontré d'autres chamans. C'est principalement ainsi que l'Ayahuasca est arrivé en Amérique du Nord et plus particulièrement aux Etats-Unis. De plus, les personnes ayant découvert l'ayahuasca auprès d'amis ont à leur tour pu partager leur expérience et le faire découvrir à d'autres proches, ce qui a diffusé l'ayahuasca surtout en Amérique du Sud. Enfin, des touristes du monde entier ont pu entrer en contact avec cette plante et ces histoires, plus facilement que lorsqu'elle était un secret détenu par les chamans. C'est ainsi que l'Ayahuasca s'est fait connaître dans le monde entier de part le récit étonnant qu'ont ramené des touristes. Inconnus témoignant sur les réseaux et globe trotteurs ont fait découvrir ce monde à des spécialistes de tourismes d'un genre nouveau, saisissant l'occasion pour créer des offres complètes pour découvrir l'Ayahuasca. Personne en mal de sensation, aventurier voulant expérimenter de nouvelles situations et autres ont, toujours plus nombreux, découvert cette plante, créant par la même occasion un tourisme de plus en plus prospère.


Bibliographie

1. L'Amazonie ancestrale

-Kounen, J., Narby, J., & Ravalec, V. (2008). Plantes et chamanisme : Conversations autour de l’ayahuasca & de l’iboga. Mama Éditions. 
-Amselle, J.-L. (2013). Psychotropiques : La fièvre de l’ayahuasca en forêt amazonienne. Albin Michel. 

2. Le culte de l'Ayahuasca

-Thomas, F. (2006). Biodiversité, biotechnologies et savoirs traditionnels. Du patrimoine commun de l’humanité aux ABS (access to genetic resources and benefit-sharing). Revue Tiers Monde, n° 188(4), 825‑842. 
-Baud, S., Ghasarian, C., & Collectif. (2013). Des plantes psychotropes : Initiations, thérapies et quêtes de soi. Imago

3. L'Ayahuasca jette progressivement son voile sur le monde

-Labate, B. C., & Jungaberle, H. (Éd.). (2011). The internationalization of ayahuasca
-Brisson, H. (2012). Résistances contre le discours dominant sur les drogues : Usages thérapeutiques et religieux de l’ayahuasca dans le monde globalisé. Revue québécoise de droit international, 1(1), 43‑72. 

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