Pourquoi les jeunes d’aujourd’hui font-ils semblant d’aimer travailler?

Pourquoi les jeunes d’aujourd’hui font-ils semblant d’aimer travailler? 
J’ai vu les plus grands esprits de ma génération faire des journées de 18 heures - et puis se vanter d’ #hustle sur Instagram. Quand est-ce que le surtravail (“workaholism”) performatif est-il devenu un mode de vie?
Pas une fois en début de semaine n’ai-je marqué une pause, regardé au loin et murmuré : #ThankGodIt’sMonday. 
Apparement, cela fait de moi un traître à ma génération. J’ai appris cela lors d’une série de visites récentes aux espaces de coworking WeWork à New York, où les coussins décoratifs implorent “Fait ce que tu aimes” (“Do what you love”) aux locataires occupés, des enseignes lumineuses leurs demandent de “Travailler toujours plus” (“Hustle harder”), où les concombres dans la fontaine à eau sont taillés d’un “Ne t'arrête pas quand tu es fatigué”.

Bienvenu dans la hustle culture, où culture du travail excessif et incessant. La hustle culture est obsédée par les efforts acharnés, inlassablement optimiste, dénuée d’humour, et impossible impossible de s’y échapper une fois qu’on y a mis les pieds. De nouveaux médias pro-hustle voient le jour comme le Hustle, qui produit un bulletin spécial business populaire et des séries de conférences qui glorifient l’ambition comme n’étant pas uniquement le moyen pour une fin mais un mode de vie. Il s’agit d’une culture du travail où non seulement on ne s’arrête pas de travailler, mais en plus où l’intention principale derrière des activités sportives et culturelles est d’y trouver l’inspiration qui nous re motivera à retourner travailler à son bureau.
Au sein de cette nouvelle éthique de vie et de travail, supporter ou aimer son travail n’est pas suffisant. Il faut adorer ce que l’on fait, et puis exposer cet amour sur les réseaux sociaux de sorte à montrer leur fusion parfaite avec leur employés. Pour quelle autre raison LinkedIn aurait-il créé sa propre version des stories Snapchat?
Cela en devient de la labeur glamour, et se généralise de plus en plus au grand public. WeWork - dont les investisseurs ont estimé valoir 47 milliards de dollars - est sur la bonne voie pour devenir le Strabucks de la culture du bureau. Cette entreprise est parvenue à étendre sa marque de workaholism performatif à 27 pays différents.  

Il n’est pas compliqué de percevoir en quoi la hustle culture est une arnaque. Après tout, convaincre une génération entière de travailleurs de se tuer à la tâche est bien pratique pour ceux au sommet. 
David Heinemeier, cofondateur d’une entreprise s’occupant de logiciels, dit qu’en dépit de données montrant que des heures de travail plus longues n'améliorent ni la productivité, ni la créativité des travailleurs, des mythes concernant le surtravail persistent car ils justifient l’immense richesse créée pour un petit groupe de technophiles élitistes. “C’est une situation sinistre d’exploitation”, juge-t-il. 
Aujourd’hui, la tech culture s’infiltre de plus en plus dans le monde du business, et fait écho aux vertus du travail acharné vantées par la propagande de l’ère soviétique, qui promouvait des exploits inatteignables pour motiver la population active. Une différence transparaît : la propagande Stakhanoviste était tournée vers l’anti capitalisme, critiquant les gros bonnets de profiter de la survaleur produite par les travailleurs. Le message transmis par la hustle culture d'aujourd'hui glorifie le profit personnel, même si les patrons et les investisseurs - et non pas les travailleurs -  sont ceux qui récupèrent la grande majorité des gains. On sait en plus que la croissance des salaires stagne depuis un bon moment. 

GHITA ZIDI

Extrait traduit de “Why are young people pretending to love work?”, article écrit par Erin Griffith et publié dans le New York Times le 26 Janvier 2019. 
Liste de ressources intéressantes traitant du même sujet:
-“What are your thoughts on ‘hustle culture’?” , article écrit par Shannon Doyne, New York Times, publié le 28 Janvier 2019.
- “Let’s be humans: a criticism against hustle culture” TEDxYouth, par Yeo Eun Shin. (Youtube) https://www.youtube.com/watch?v=GceAplY4WsY   
- “The truth about hustle culture”, podcast de Katy Bellote sur le apple podcast Thick and Thin.

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