En quête de l’intelligence dans la nature



"Intelligence dans la nature, en quête de savoir", un film de Jérémy Narby (2005)

Une production Buchet-Chastel.




A la recherche de l’intelligence dans la nature, Jérémy Narby se lance dans une grande aventure au cours de laquelle ses rencontres changeront à tout jamais la conception occidentale de la nature.
Soyez prêts à réinventer des concepts que vous pensiez établis. 





SCENARIO 



Toutes les citations sont extraites de l’ouvrage Intelligence de la nature, en quête du savoir de Jérémy Narby. Elles sont présentées dans l’ordre de la narration.


I- Extérieur / Amazonie péruvienne

Jérémy Narby, anthropologue, se trouve en Amazonie pour réaliser des recherches en collaboration avec des indigènes. De nombreuses interrogations surgissent, une prégnante : serait-il possible de trouver un terrain d’entente entre la science occidentale et le savoir indigène ?
Il sait que ces deux institutions divergent sur la question d’une nature animée et intelligente.
D’un côté les chamanes sont persuadés que les plantes sont capables d’intentions et affirment réussir à communiquer avec eux. De l’autre la science occidentale ne conçoit pas l’idée d’une intelligence non humaine.
Ce point de rupture sera le fil conducteur dans sa quête de l’intelligence de la nature.
Réussira t-il à faire coïncider les recherches de la science occidentale avec les hypothèses qu’affirment les chamanes de l’Amazonie péruvienne ?


II- Intérieur / Estonie, Ferme de Laine Roht

Il rencontre Laine Roht, guérisseuse. C’est déterminant pour sa quête d’intelligence de la nature car il s’est lancé dans ce projet de manière impulsive.
Quels sont les enjeux liés à cette quête ? Risque t-il de se heurter à une force naturelle supérieure ?
C’est en tout cas ce que lui indique Laine Roht : « Il est difficile de pénétrer la nature. […] Personne ne saura jamais comment les plantes et les humains sont faits, ou ce qu'il adviendra d'eux. Cela demeurera secret. »
Jérémy Narby doit déterminer les enjeux de sa quête et les effets de sa recherche : « Cela signifiait-il que je ne devais pas poursuivre mon enquête sur l'intelligence de la nature ? ».

Il est curieux et il est convaincu de la légitimité de sa quête car la nature occupe une place de plus en plus importante dans les projets de recherches actuels.

III- Intérieur / Amazonie péruvienne, Centre matsigenka d'études tropicales

Jérémy Narby retourne en Amazonie péruvienne, là où ses interrogations ont débuté.

Il rencontre Charlie Munn, orthinologue, et assiste à une scène de banquet des aras. Et alors, il se demande : « l’intelligence des oiseaux est-elle la même que celle dont font preuve les humains [...]? ». Les oiseaux n’agissaient-ils pas plutôt par une forme d’«instinct» ou de « comportement adaptatif vis-à-vis de l’évolution. ». Est-il justifié d’accorder une supériorité à l’espèce humaine?
Les oiseaux sont capables de reconnaître les endroits les plus favorables à l’apport de nutriments. Ils préviennent leurs compagnons lors de l’approche d’un ennemi. Ils utilisent la ruse pour s’alimenter au profit d’autres espèces. On peut également leur attribuer des actes de mémorisation et de prévoyance ou encore d’apprentissage.
Jérémy Narby remarque que « la capacité d'apprentissage est en général considérée comme une marque d'intelligence ».

IV- Extérieur / Amazonie péruvienne, vallée de Pachitea

Fort de cette première constatation d’intelligence dans la nature, Jérémy Narby se rend chez le chamane Ashaninca pour en apprendre plus sur le savoir indigène.
Il lui explique que ce qui distingue les êtres humains des autres espèces c’est le langage. Les chamanes utilisent des potions telles que l’Ayahuasca et les chants icaro pour créer un nouveau langage qui leur permet de rentrer en communication avec ce qu’ils appellent les êtres de la nature.
Jéremy Narby conclut que la place laissée aux plantes pour s’exprimer et révéler leur intelligence dépend du lieu. Il s’explique : en Amazonie on considère cette hypothèse de communication avec la nature comme beaucoup plus probable que dans les grandes métropoles occidentales.

V- Intérieur / Zungarococha, école interculturelle

A Zungarococha Jérémy Narby rencontre des scientifiques péruviens. Il constate que la science occidentale reste matérialiste et cherche à tout prix des réponses concrètes. Peut-être une explication à son hermétisme face au savoir indigène et aux hypothèses d’intelligence dans la nature ?
Les indigènes lui expliquent qu’ils travaillent à partir de visions alors que les occidentaux travaillent à partir d’études.
Selon les indigènes les occidentaux manqueraient de connaissances concernant la nature ce qui s’expliquerait par le manque de présence de la nature dans la tradition occidentale.
Jérémy Narby a une certitude : le rapport à la nature, quotidien ou traditionnel, a bien un lien avec la manière dont elle est considérée au sein des institutions scientifiques.

VI- Intérieur / Jura

Suite à ces différentes rencontres, Jérémy Narby s’arrête sur la complexité de la définition de l’intelligence. Il remarque que les définitions qu’il trouve se concentrent essentiellement sur des aspects humains. Certainement l’influences de la science occidentale tournée vers l’être humain...
Jérémy Narby arrive tout de même à isoler une définition qui lui semble plus neutre et se rapproche de l’étymologie du mot : l’intelligence serait le fait de pouvoir choisir et implique la capacité à prendre des décisions.
Il tombe sur un article de Donald Kennedy, éditeur en chef de la revue Science, qui expose la difficulté à trouver des spécificités humaines précises. Cette information change sa perspective sur la place de l’être humain dans le monde vivant.
Précision : la science occidentale a tout de même évolué quant à la question de la considération de la nature. Contrairement à ce que pensait Descartes, il n’est plus nécessaire aujourd’hui, de considérer dans le monde scientifique, les animaux comme des automates ou des machines.

VII- Intérieur / Toulouse, Bureau de Martin Giurfa

Jérémy Narby veut montrer que la science occidentale accorde une place plus importante à la nature au sein de la recherche. Il part à la rencontre de Martin Giurfa, chercheur en cognition animale au CNRS. Selon lui ce n’est pas la nature qui est dépourvue d’intelligence mais les chercheurs qui l’étudient. Il affirme que « nous sommes encore loin d'avoir fait la sorte de saut mental qui nous permette de poser certaines questions ».
Pour Giurfa il existe deux difficultés qui compliquent l’expérience scientifique : le fait que les plantes ne parlent pas et le fait qu’elles soient statiques.
Pour certains le mouvement serait associé à l’intelligence.

VIII- Intérieur / Édimbourg, bureau d’Anthony Trewavas

Jérémy Narby lit un article dans la revue Nature de Anthony Trewavas, qui confirme que la science occidentale s’ouvre à la cognition naturelle. Il y affirme que la recherche sur l'intelligence chez les plantes est en train de « devenir un objet d'étude scientifique sérieux » et que les chercheurs commencent « maintenant seulement à découvrir la remarquable complexité du comportement des plantes ».
Il décide de le rencontrer. Il comprend alors que le mouvement ne peut être associé directement à l’intelligence. Anthony Trewavas lui explique que les plantes arrivent, malgré leur fixité, à manifester des réactions appropriées selon ce qu’elles perçoivent de leur environnement. Elles apprennent, mémorisent et décident alors même qu’elles sont dépourvues de cerveaux.
Mais ne faudrait-il pas comprendre la plante comme un cerveau en elle-même? C’est ce que retiendra Jérémy Narby de cet entretien : « Les plantes n'ont pas de cerveau, mais agissent plutôt comme un cerveau ».

IX- Intérieur / Japon, Sapporo – Université d’Hokkaido

Jérémy Narby se rend au Japon, là où chaque chose possède un esprit car il constate que les humains ont bien plus en commun avec les plantes que ce qu’il pensait. Il y rencontre Nakagaki, maître de conférence à l’université d’Hokkaido qui lui fait découvrir le chi-sei. Ce terme est une alternative à l’intelligence au Japon et renferme l’idée de la capacité de savoir ou celle de reconnaître.
Jérémy Narby approuve ce principe et oriente sa quête sur la capacité de savoir de la nature

X – Intérieur / Dans la tête de Jérémy Narby

Avec ce nouveau concept de chi-sei je me rends compte que j’ai été témoin de preuves d’intelligence dans la nature.
Ma perception de la nature est transformée : « Les populations de cultures occidentales ont été obsédées par la différence entre humains et animaux. Mais les humains sont des animaux, et nos capacités proviennent d'un passé que nous partageons avec d'autres espèces. Alors, pourquoi nous considérer comme entièrement séparés d'eux ? Pourquoi cette obsession à rechercher la spécificité humaine ? »
Je peux maintenant confirmer que de nombreux chercheurs sont maintenant convaincus de ce que les chamanes affirment depuis le début. Les humains ont encore beaucoup à apprendre de la nature.




NOTE D'INTENTION




Trois pistes d’analyses nous semblent essentielles pour comprendre cet ouvrage.


Traitement des méthodes employées par Jérémy Narby pour concevoir son ouvrage.

Ce qui attire l’attention dans cet ouvrage c’est sa narrativité. Jérémy Narby nous conte ses péripéties et ses rencontres à la manière d’un carnet de voyage. Cette narration quelque peu étonnante aux premiers abords permet un style léger qui accroche le lecteur. Cependant elle met en relief un aspect moins positif. Jérémy Narby est anthropologue et la plupart de ses entretiens se font avec de purs scientifiques. On pourrait alors se demander si l’anthropologue est le bon intermédiaire pour transmettre les connaissances qu’il reçoit. Cette narration ne cache t-elle pas un manque de scientificité ?
Jérémy Narby apparaît alors comme un guide dans la recherche de l’intelligence dans la nature. On constate au fil de l’ouvrage que l’auteur est un rapporteur de connaissances. Il recueille les idées de chaque personne rencontrée et construit un fil conducteur. Cela permet un effet à double face, d’un côté l’auteur ne participe pas réellement à la construction des réflexions, il les assemble juste comme s’il construisait un puzzle, de l’autre cela permet de confronter des points de vue différents. En se reposant sur plusieurs avis, l’auteur semble renouer avec la scientificité. De plus, il est important de souligner qu’il confronte des points de vue de zones géographiques différentes mais également d’époques différentes, ce qui permet de constater les évolutions de la science dans le domaine de l’intelligence de la nature.
Cette fonction de rapporteur ou de guide des connaissances nous permet également de suivre plus aisément les raisonnements. C’est ce que l’on pourrait appeler de la vulgarisation scientifique de très bonne qualité.
Avec sa casquette d’anthropologue, Jérémy Narby aborde des questions qui relèvent de la sociologie, de la philosophie, des sciences dures et assurément d’anthropologie. Cette diversité de points de vue est certainement une des plus grandes richesses de l’ouvrage.

Jérémy Narby n’hésite pas à montrer ses limites sur la connaissance du sujet et pose des pistes de réflexion qu’il met en action sur le terrain. En effet, une autre preuve de la scientificité de cet ouvrage est la présence importante du terrain et de l’expérience. Les rencontres avec les scientifiques permettent une transparence sur leurs intentions et l’on peut plus facilement parler d’objectivité. De plus, pour initier ses recherches, Jérémy Narby consulte des ouvrages scientifiques et les confronte tout en les complétant suite aux rencontres des auteurs.

On peut ainsi dégager un mouvement principal dans la méthode de Narby. On part d’idées reçues, des opinions de l’auteur, on trouve ainsi une idée à explorer et on recherche des scientifiques en capacité de répondre. Enfin la rencontre avec ses scientifiques finalise cette boucle et aboutit souvent à une nouvelle piste de réflexion.
La multiplicité des personnes rencontrées et la confrontation de différentes nationalités et donc de mentalités différentes permet à Jérémy Narby d’étoffer sa réflexion et d’obtenir un panorama assez large sur la question.
Mais cette méthode n’est pas qualifiée de scientifique par tous. Selon Jacques Dubrochet, biophysicien, Narby ne fait que tester des hypothèses et va à l’encontre des valeurs de la scientificité. De plus, la place accordée aux chamanes qui accèdent au savoir par l’ayahuasca est assez importante mais ne peut constituer une piste sérieuse. Elle repose sur des expériences émotionnelles contraire aux expériences objectives et répétitives que requiert le caractère scientifique.
Ce ne sont donc pas que deux conceptions de l’intelligence mais bien des systèmes de production scientifique qui se confrontent et qui apparaissent comme radicalement opposés.




Traitement de la définition de l’intelligence dans l’ouvrage

La quête première de Jérémy Narby est de trouver des preuves de l’intelligence dans la nature. Or il se rend vite compte que ce problème en soulève d’autres dont la définition même de l’intelligence qui devient alors central dans l’ouvrage mais également pour la science d’aujourd’hui. La reconnaissance de l’intelligence dans la nature remet en cause la vision anthropocentriste de ce concept par la science occidentale. Selon cette théorie, l’homme serait au centre du monde. La définition de l’intelligence se fait donc de manière à s’appliquer exclusivement à l’être humain. L’enjeu de l’ouvrage est alors de trouver des alternatives à cette vision anthropocentriste.
Narby conçoit que l’intelligence est définie par des facteurs variés déterminés par le contexte et le lieu. C’est bien pour cela qu’il trouve au Japon une alternative à l’intelligence définie par les occidentaux. Le chi-sei lui permet de s’approprier la notion d’intelligence, n’écartant pas la nature de facultés autrefois privatisées par les êtres humains.
La science occidentale interprète les facultés de l’humain par un arrachement de l’homme à la nature. Or cette notion de chi-sei tend à nous réconcilier avec la nature et à surligner nos ressemblances. En réalité nous sommes attachés à la nature dans le sens où nous en faisons partie. Cette nouvelle conception de la nature n’est pas sans rappeler l’idée du «tournant relationnel» et remet en cause le Grand Partage, soit l’idée de séparation stricte entre l’humain et le non-humain.
Jérémy Narby n’est pas le seul à s’être confronté au problème de la définition de l’intelligence. Lorsqu’en 1995 Franklin travaille sur l’intelligence artificielle, il exprime sa difficulté à définir l’intelligence même : «Avant d'essayer de définir l'intelligence artificielle, nous avons pensé plus prudent de dire d'abord ce que nous signifions par intelligence. Après presque deux ans d'altercations, nous avons abandonné en désespoir de cause».
De son côté Cohen consent que le concept d'intelligence relève de trop de significations et est utilisé pour décrire de nombreux types de pensées. Il en ressort tout de même des conditions sine qua non telles que la perception, le langage, l'attention et la mémoire. 
Ce qui est sûr c'est que l'intelligence ne vient pas de la présence ou non du cerveau.




Traitement de l’« après Jérémy Narby ».

Jérémy Narby a rempli son pari et a prouvé que la nature détient une forme d’intelligence. Son ouvrage ne fait qu’affirmer l’importance d’une piste de recherche de plus en plus exploitée. En effet, à travers ses différentes rencontres Jérémy Narby a bien compris qu’il était compliqué pour la science occidentale de considérer la nature comme intelligente mais il a pu constater que les mentalités changent et que de nouvelles études s’emparent du sujet.

Même s’il permet de confirmer qu’il existe une intelligence de la nature, cet ouvrage se concentre essentiellement sur l’aspect animal en délaissant l’aspect végétal. En effet, au sein même des recherches sur l’intelligence dans la nature on comprend qu’un autre schisme s’opère entre le végétal et l’animal. Les études sur une intelligence des plantes sont rares et sont peu considérées.
Heureusement, de plus en plus de chercheurs s’ouvrent à cette possibilité d’une intelligence végétale. Cet ouvrage devrait alors bénéficier d’une mise à jour concernant cet aspect.
La proclamation d’une nature intelligente entraîne une nouvelle considération de celle-ci. Le nombre d’études croissant sur ce sujet en est une parfaite illustration.
Si une étude permet de prouver que les plantes ou les animaux sont comme nous, dotés de sentiments et d’intelligence, peut-être y ferions-nous plus attention. Tout en étant scientifiquement intéressante, cette intelligence permettrait de sensibiliser le monde humain à la question environnementale et animale dans un monde où la nature semble avoir été délaissée et violentée. 




Mathilde Morel des Roseaux Pensants 

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