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Dans cet ouvrage
« pédagogique » paru en 2009, Bruno Parmentier, nous éclaire sur les
limites du modèle agricole mondial actuel. Paradoxalement, les ressources
s’épuisent, tandis que les besoins ne cessent de croître. Comment mettre alors
en place une agriculture durable, qui permette aussi bien de nourrir le monde d'aujourd’hui que celui de demain ? L’auteur nous donne les clés pour nous
en faire notre idée… Une lecture à portée de tous qui laisse difficilement
indifférent sur les blocages auxquels la société moderne se trouve confrontée.
Par Lily, publié le 06/05/2020 à 16h32
Bruno
Parmentier, ingénieur et économiste de formation, a rejoint le milieu agricole
en prenant la direction du groupe ESA après une carrière dans la presse. Dans Nourrir
l’humanité, il s’interroge sur les facteurs qui font que la production
agricole mondiale est capable ou non d’assurer les besoins alimentaires
croissants de l’humanité, aujourd’hui et dans un futur proche. Cet article se focalise
sur les chapitres 1 à 6 qui exposent les grands enjeux auxquels
l’agriculture est confrontée, l’incapacité des armes traditionnelles à les
régler puis le développement de la biologie envisagée comme solution possible
pour accroître les rendements. Ce choix a été fait dans la continuité de
l’axe d’étude sur les plantes extrêmophiles, le début de l’œuvre de Parmentier
permettant d’expliciter ce besoin de trouver de nouvelles manières de pratiquer
l’agriculture au vu du contexte actuel.
Un
livre qui expose les grands problèmes auxquels l’humanité est confrontée pour
se nourrir mais qui pourtant, s’ouvre sur un constat positif pour notre pays :
« on ne s’est jamais aussi bien restauré en France qu’aujourd’hui ».
En effet, dans l’hexagone, on mange bien, autant du point de vue de la sécurité
sanitaire qu’en terme de dégustation. D’ailleurs, la France est l’un des
principaux pays agricoles de la planète et se place au second rang en ce qui
concerne les exportations de denrées alimentaires. Plus généralement, les pays
occidentaux se nourrissent correctement, et si comme selon les prévisions, leur
population décroit durant les prochaines décennies, ils auront peu de problèmes
à se nourrir. En théorie, les quantités produites aujourd’hui dans le monde
seraient suffisantes pour que chaque individu puisse manger à sa faim affirme
l’auteur. Pourtant tel n’est pas le cas, il reste dans le monde plus de 850
millions d’humains sous-alimentés, concentrés essentiellement dans les pays
du Sud. Ainsi, de grandes disparités apparaissent en termes d’alimentation,
entre un Nord excédentaire, qui ne sait parfois que faire de ses productions,
et un Sud où la sous-alimentation est la cause d’une bonne partie des décès. Ces
pays du Sud, et notamment l’Afrique, encore en pleine transition démographique,
ont des besoins en denrées alimentaires croissants, un défi qui semble
difficile à relever dans les conditions actuelles.
Surtout que le
modèle d’alimentation qui tend à se développer est le modèle occidental, où
viande, produits laitiers et autres denrées énergivores et non-nécessaires pour
la santé ne sont que trop répandues. Ainsi grâce à un calcul qui prend en
compte l’accroissement de la population, ses caractéristiques (âge, taille…),
et l’effet de la modification des régimes alimentaires, il est estimé que pour
répondre aux besoins alimentaires de chaque être humain en 2050, il faudrait
multiplier la production agricole par 2,25.
Source : care2.com |
Nourrir
les hommes et les femmes au XXIe siècle s’avère être un défi de taille dans la
mesure où les ressources nécessaires à l’agriculture tendent à diminuer
(terre, eau, biodiversité), où l’homme doit impérativement trouver de
nouvelles sources d’énergie, tandis que de nouvelles contraintes
voient le jour (réchauffement climatique, épidémies).
Au niveau méthodologique,
les chapitres 2 et 3 fonctionnent similairement : ils exposent les
différents besoins de l’agriculture et la manière dont l’homme y répond
aujourd’hui. Puis, ils montrent les limites du système pour enfin expliquer les
d’alternatives qui ont été ou sont envisagées par certaines populations, gouvernements,
régions.
La superficie de terres
cultivables ne cesse de diminuer, (phénomènes
d’urbanisation, d’érosion et du réchauffement climatique). L’agriculture
intensive entraîne une dégradation de la qualité des sols : baisse des
teneurs en matière organique, salinisation, compaction des sols, présence de
métaux lourds…
Source : FAO |
De même, les réserves mondiales d’eau douce liquide par habitant ont baissées de 60% depuis 1950. Or, 70% de l’eau douce prélevée chaque année est destinée à l’agriculture. Certaines productions en requièrent davantage que d’autres (l’élevage par exemple en consomme plus que les céréales). Des solutions pour pallier ce manque seraient de privilégier les cultures moins consommatrices, la mise en place de systèmes qui évitent le ruissellement pour éviter le gaspillage…
Enfin, la
biodiversité qui rend des services vitaux à l’humanité (nettoyage de l’eau,
stabilisation de l’atmosphère) baisse : de nombreuses espèces
s’éteignent ou sont en voie d’extinction. D’ici un demi-siècle, 15% à 37%
des espèces pourraient avoir disparues. Espèces et variétés de plantes
cultivées sont restreintes (les plus productives seules sont sélectionnées) :
« trente espèces végétales produisent 90% des calories consommées dans le
monde ». Ainsi, en cas d’épidémie touchant une espèce, les conséquences
sont désastreuses (exemple de la maladie du mildiou à l’origine d’une famine
impressionnante en Irlande dans les années 1845). Notons que le même phénomène
s’observe pour les animaux.
Puis,
est abordé le thème de l’énergie. Sont exposées les différentes méthodes
maîtrisées pour produire de l’énergie aujourd’hui, la part de chacune dans la
production, leurs avantages et inconvénients. Vient ensuite le tour des
possibilités futures (le développement de certaines méthodes existantes, et
celui de nouvelles, plus ou moins réalistes). Ainsi, les énergies fossiles
s’épuisent peu à peu (pétrole, uranium…) et des solutions alternatives doivent
être urgemment mises en place. La piste de la fusion de l’hydrogène et encore à
l’étude, l’énergie éolienne et solaire sont de plus en plus utilisée. Sans
oublier l’énergie la plus en lien avec l’ouvrage : les biocarburants,
produits à partir de plantes. De fait, l’agriculture est un réservoir d’énergie,
et si cette solution vient à gagner en popularité, il faudra réfléchir à
certaines modalités, en lien avec une certaine éthique : peut-on se
permettre d’utiliser des surfaces agricoles pour produire de l’énergie alors
que des êtres humains meurent de faim chaque jour ? Au niveau du chapitre,
il est à remarquer que Parmentier aborde le défi de l’énergie dans sa
globalité ne s’arrêtant pas seulement sur son lien avec l’agriculture.
Ces
deux chapitres foisonnent de données chiffrées. Le rapport entretenu avec peut
être ambivalent. En même temps, elles fournissent de la précision à l’œuvre en
étayant le propos et peuvent être à l’origine d’une prise de conscience chez le
lecteur car elles montrent l’importance des phénomènes décrits plus haut.
Cependant, il est a noté que cette surabondance peut aussi se révéler
contre-productive, perdant parfois le lecteur dans des chiffes qui ne sont pas
vraiment évocateurs. Insérer quelques graphiques et donner davantage de points
de comparaisons aurait été de ce point de vue plus percutant…
De même, il est dommage
que l’auteur ne cite que peu de sources, il est impossible de savoir d’où
proviennent certains chiffres et informations qui nous sont donnés : pour
des recherches plus approfondies sur le sujet, au lecteur de se débrouiller
pour trouver d’autres articles scientifiques sur le sujet.
Deux dernières contraintes sont mises en lumière au
chapitre 4 : la modification climatique et l’exposition accrue aux
épidémies. Le gaz à effet de serre est composé aux trois quarts d’eau qui
reste dans l’atmosphère environ une semaine avant d’être dissout (dans les
pluies) et de 28% de GES additionnels, qui restent eux très stables dans
l’atmosphère. Il s’agit essentiellement
du CO2, du méthane, des halocarbures, de l’ozone et du protoxyde d’azote. Les
activités agricoles sont particulièrement émettrices de méthane (les ruminants
à eux seuls en sont à l’origine de 3% des émissions). Ainsi, au cours du XXème siècle, la
température moyenne a augmenté d’un demi-degré, et selon les prévisions, elle
devrait encore croître de 1,5 à 5,8°C au cours du XXIème siècle. Ce réchauffement
climatique est problématique dans la mesure où il entraîne une hausse de la montée des mers (surfaces terrestres
immergées), et une mutation des écosystèmes (les espèces se déplacent en
fonction du climat). Il entraîne des catastrophes (ouragans, tempêtes,
inondations…) de plus en plus fréquentes. Les conséquences de la modification
climatiques sont irréversibles, et toutes les mesures prises a posteriori inefficaces. Il faut agir avant qu’il ne soit trop
tard car les actions entreprises pour l’instant sont très insuffisantes. Notons
que pour les régions les plus impactées, il va falloir « produire des
aliments adaptés aux dérèglements climatiques », l’intérêt de plantes
résistant à des situation extrême revient sur le devant de la scène. En ce qui
concerne le risque de crise sanitaire croissant, notons que le contexte
de pandémie actuel dans lequel j’écris vient cyniquement donner raison à
l’auteur, qui en 2009 alarme déjà sur « le réservoir de virus » que
constitue les élevages peu réglementés et prédit de nouvelles épidémies
« faisant des millions de morts ». L’épidémie du SRAS, de la grippe
aviaire et aujourd’hui du coronavirus proviennent tous d’animaux. Épidémies, et
réchauffement climatique étant étroitement liés : certains pour l’instant
cantonnées aux pays chauds traversent aujourd’hui la Méditerranée (fièvre
catarrhale ovine, leishmaniose…).
Le
chapitre qui suit nous montre pourquoi les méthodes qui ont au XXème
siècle permis de multiplier les productions (mécanisation et chimie notamment) atteignent
leurs limites. Le machinisme ne permet d’augmenter la production qu’une
fois et ses effets externes négatifs se font ressentir : pollution,
augmentation des coûts… Il en va de même pour les intrants de plus en plus mis
en accusation dont on essaie aujourd’hui de limiter l’usage (en épandre moins
sur des surfaces très localisées, remettre en marche des mécanismes
biologiques…)
Des
problèmes, des problèmes, et les solutions pour arriver à la suffisance
alimentaire dans tout ça, sont-elles envisagées ? Certes, le début de l’ouvrage
est alarmiste mais s’il expose les limites de notre système, c’est peut-être
justement qu’une prise de conscience et une réaction collective pourraient
être la clé d’un avenir plus prometteur : c’est à tout un chacun de se
préoccuper de la manière et du lieu de production des aliments qu’il a dans
l’assiette.
Tous
les grands thèmes de cet ouvrage sont plus ou moins connus du grand public,
mais la précision et l’exhaustivité rendent le livre intéressant, même pour une
personne ayant quelques notions dans le domaine. En effet, l’objectif de
l’auteur n’est pas de produire un ouvrage pour les scientifiques qui
travaillent sur le sujet, mais plutôt de diffuser tous les aspects de la
question de l’alimentation mondiale au grand public. Le livre amène de
nombreuses et très précises informations (exemples, données) qui ne peuvent que
nous conforter dans l’opinion que notre modèle n’est pas durable. La méthode
utilisée par Parmentier est très intéressante : il tente une approche
exhaustive du sujet en abordant tous les enjeux un par un, proposant tous les
moyens envisageables et expliquant pour tous leurs avantages et limites. Il
n’en reste pas seulement au thème de l’agriculture, de nombreux encadrés
donnent des précisions ou font des liens avec d’autres sujets (les réfugiées
climatiques par exemple). Tout en étant alarmiste, cette œuvre n’est pas
fataliste. Même si l’auteur rappel que son but n’est pas d’écrire « ce
qu’il conviendrait de faire », on identifie aisément sa position sur le
sujet, et le fait qu’il soit aujourd’hui indispensable de changer de modèle.
L’ouvrage datant de 2009,
certaines méthodes qui en étaient seulement à leurs débuts à cette époque ont
évoluées : les biocarburants et les nanotechnologies, l’agriculture intégrée
sont notamment des domaines qui ont progressés. Pour une approche plus
complète, se référer à des œuvres plus récentes semble pertinent. Cependant,
les propos restent très actuels et pertinent plus de dix ans après (épidémies,
climat, perte des ressources). La pratiques alimentaires, agricoles et plus
généralement notre mode de vie n’a pas encore subi de tournant décisif…
Pour
conclure, nous retiendrons de cet ouvrage que le modèle actuel agricole est
face à une crise. Le défi d’un monde où la faim serait éradiquée semble
irréalisable : fruit d’un système aberrant où les ressources sont mal
réparties. Cependant, de nombreuses solutions sont envisageables, toutes ayant
avantages et inconvénients. Une fois éclairés sur le sujet, à nous de peser le
pour et le contre de chaque, et d’adapter nos pratiques selon les convictions
que cette œuvre fait émerger ou se consolider.
Et au passage, il me semble
intéressant de vous partager le blog et la chaîne YouTube mis en place par l’auteur en lien avec ces questions
alimentaires et environnementales : (http://nourrir-manger.com/
et https://www.youtube.com/channel/UCe7l12s7zmHxQOIKUs-suCQ).
Ceux-ci sont régulièrement nourri d’articles et de vidéos en lien avec
l’actualité (les derniers par exemple évoquent différentes situations
alimentaires liées au coronavirus). Cette ressource ludique appréciable
complète les grands thèmes de l’ouvrage grâce à des exemple contextualisés.
Bruno Parmentier, Source : Bebeblio |
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