Essai modeste sur la fatigue

Baleines de parapluie


    Que faire des méandres de son esprit, un jeudi soir (vendredi matin ?) à minuit et vingt-trois minutes, tandis que l’on s’emploie au travail à rendre le lendemain ?


    On écrit bien entendu. C’est lors de ces moments que viennent des idées incongrues de matelas, de civilisations pleines d’arabesques et de singes passant par là. Je m'appliquais à contempler l’importance de la dénomination des couleurs (noir, rouge, indigo, lapins, chars volants et toutes autres absurdités), mais plus rien de cohérent ne semblait vouloir échouer sur les petites pattes carrées de mon clavier. 
    Je m’amuse alors à faire mu-muse avec la musique et le rythme de mes touches, à prendre pour muse les museaux muselés de loups posant dans le musée de mon imaginaire. 
    C’est étonnant ce que la fatigue ouvre l’automatisme.

    Je disais donc que l’on écrit. C’est ce que j’avais déjà fais, piochant dans quelques délires de forme carottoïde pour dégager le texte qui suit, dans l’espoir qu’il berce mes compagnons, disciples de Goya dans la peinture à l’indigo.

    (bon je vais dodo, que les carottes soient avec vous dans un profond sommeil. Pour cela, je vais vous écrire un petit poème en prose digne des plus grandes écritures automatiques :
    Il eût été une fois (notez le passé antérieur qui souligne bien l’aspect fini, terminé, caput de la chose) une grande civilisation qui était parvenue à émerger du vide sidéral grâce à une technologie qui peut vous paraître quelconque : la maîtrise du matelas (oui je suis fatigué). En effet, cette technique résultant de siècles d’évolution, permettait quiconque s’y couchait d’acquérir un sommeil profond et immédiat. Cependant, la logique défiant la raison, il fallait, pour se réveiller, qu’un singe passât par là. Le monde ne pouvait se porter mieux, car les singes passaient régulièrement par là, de sorte que le saint sommeil ne se perdit pas dans l’infinité de l’univers. Ainsi allait le monde. La catastrophe se produisit quand, un beau matin, les singes et autres pachydermes (je sais qu’ils n’ont rien à faire là, mais ça sonne bien alors laissez-moi en paix !) décidèrent de ne plus passer par là. Ainsi, la civilisation à jamais endormie sombra dans l’oubli et la désuétude. 

    Bon j’espère que ça vous a plu et que vous dormirez bien la prochaine fois que vous déposerez votre doux corps sur un somptueux matelas. Si vous voulez je vous écrirais une autre histoire un autre jour !
Bisous, votre Hugo fatigué.)


Réaction des lecteurs :
Waw Hugo quelle prose. C’est du génie. Je suis sous le charme, tout simplement.
ou bien :
S[i] un jour j’ai des gosses, je leur raconterai cette histoire, en disant bien sûr que le copyright est à Hugo Le R[o]ux, maître des carottes.

Ce texte est donc objectivement sublime. Comme pour tous les textes classiques, faisons-en une rapide analyse linéaire.

    Première chose à noter : ce sont les parenthèses qui englobent le texte dans sa globalité (aïe la répétition), et qui ont leur importance, sans doute décevante par l’aspect purement utilitaire. En effet, le texte est enchâssé au sein même du document de travail du projet de recherche, et ne peut venir déranger le flux intellectuel du raisonnement sur les couleurs ! Inacceptable cela serait !
    Ensuite, un rapide coup d’œil sur le paratexte : l’auteur est fatigué (et il l’est encore), et s'apprête à aller se coucher (pour l’instant mon analyse n’est que périphrase, mais ça arrive). Le plus intéressant est l’allusion carottoïdesque et son association au sommeil. Les carottes ne sont pas connues pour donner un sommeil profond (d'ailleurs, notons que le terme n’est pas repris par la suite), mais est employé en amont d’une phrase contenant le mot “digne”, ce qui souligne, vous l’aurez compris (oups la violence symbolique), le tumultueux paradoxe qui sillonne le paradigme des castelthéodoriciens (les habitants de Château-Thierry pour les connoisseurs).
    Entrons ensuite dans le texte en lui-même. Dès les premiers mots, nous sommes frappés par la clairvoyance infinie de la prose. Notez le passé antérieur qui souligne bien l’aspect fini, terminé, caput de la chose. Notez également la petite mise en abyme stylistique créée par l’auteur (que dis-je, le poète, le troubadour, le ménestrel ! C’est une péninsule !). Arrive enfin le climax du chef d’oeuvre : la “maîtrise du matelas”. Incroyable mais vraie, l’utilisation de l’article défini “du”, qui, malgré sa formelle interdiction par les (bien trop vieux et éloignés de la réalité de la langue) académiciens. Passons outre.
    Les trois phrases suivantes ne sont que roman élaboré et miteux papiers peints. Mais nous pouvons habilement les résumer ainsi, en supprimant quelques mots sur deux :


    En cette évolution, quiconque couchait un sommeil profond, logique défiant raison, singe Le monde, car régulièrement, le saint sommeil perdit l’univers.
    Il faut sous la fatigue amener raison aux pires maléfices: Ainsi allait le monde. 

    Viennent les pachydermes, beaux oiseaux ailés, tantôt chaise, tantôt bateau, qui vaquent à leurs occupations d’énergie d’activation, d’intermédiaires réactionnels bien réels, et d’états de transition à la con. Je veux voler, et me faire compresser par une colonne d'éclair, loi de Gauss ou d’Ampère, pour finir écrasé en aurore boréale aux pôles par un malheureux miroir magnétique.


    L’oubli et la désuétude.



    Comme vous l’aurez compris, le suis fatigué (mais pas assez pour oublier ces gentils alinéas que certains oublient et jettent allègrement dans la nature. Sans-âmes.). Après une heure d’écriture je me sens chuter et je me coucherais bien sous une pluie de pélicans. 

Peut-être une âme charitable pour me relire ?



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