La rationalisation de la science, ou comment les croyances populaires se sont effacées


Frans Hals - Portret van René Descartes.jpg

René Descartes, 
portrait de Frans Hals, 1649-1700


Le corps est aujourd’hui considéré comme un attribut, que nous cherchons à modeler à notre guise et duquel il faut prendre soin. Or, au Moyen-Âge le corps n’était pas considéré comme une part détachée de notre être. Un dualisme entre le corps et l’esprit s’est en effet progressivement installé dans la pensée depuis la rationalisation de la science à la Renaissance. La pratique scientifique s’institutionnalise et un modèle d’acquisition des connaissances en évince un autre, modifiant profondément le lien de l’Homme à son corps et à son environnement.

Au XVIIème siècle, Galilée explique que l’Univers est un ensemble de mécanismes physiques et mathématiques régi par des lois universelles et rationnelles. L’univers est une étendue géométrique infinie compréhensible grâce à des formules calculatoires. La révolution galiléenne marque une rupture vis-à-vis de la conception religieuse du monde qui prévalait jusqu’alors. La science s’affranchit progressivement de la tutelle de l’Église, qui s’appuie au contraire sur la transcendance. La connaissance rationnelle du monde permet de décortiquer les lois de la nature pour mieux la maîtriser. Descartes, qui appartient à la philosophie mécaniste, poursuit cette conception rationnelle du monde dans le Discours de la méthode et Les méditations métaphysiques. Avec le doute méthodique, Descartes estime que les sens sont trompeurs et que tous les savoirs acquis par l’intermédiaire de ces derniers sont illusoires et non fiables. La connaissance doit selon lui se fonder sur des raisonnements rationnels et non plus sensibles. Descartes établit un dualisme entre le corps, habité par les passions animales, et l’esprit, qui peut lui, être rationnel. Le corps est considéré alors comme un attribut, parfois surnuméraire, qui est habité par l’esprit. Même si ce l'esprit est dépendant du corps car il lui permet de l’inscrire dans le monde, ils sont distincts l'un de l'autre. A travers cette distanciation du corps, la philosophie cartésienne s’inscrit dans la progression de l’individualisme. L’Homme est désormais considéré comme une conscience individuelle, et non plus comme le fragment indissociable d’un groupe social. Le principe même du cogito repose sur l’individualité du sujet pensant. Ces révolutions scientifique et philosophique, la naissance de l’opposition entre l’intelligible et le sensible, vont à l’encontre des pratiques populaires. En effet, dans les couches populaires, l’univers est compris comme un ensemble animé et formé d’interrelations sensibles. Cette ontologie holiste s’oppose à l’individualisme de même que l’acquisition du savoir grâce aux sens et à l’expérience s’oppose au rationalisme. Les pratiques populaires reposent en partie sur la foi, et plus particulièrement sur le symbolisme des éléments naturels. Dans les régions rurales, nombreuses sont les sources et fontaines miraculeuses, dont l’eau aurait soigné certains maux. Généralement associées à des saintes, ces sources et fontaines deviennent des lieux de pèlerinage, attirant nombre de fidèles. Des liens symboliques uniraient en effet l’Homme à son milieu, comme le montre par exemple la supposée relation entre les planètes et le fonctionnement des organes. La croyance fait en effet partie des pratiques médicales de l'époque. Même si l'expression de  « croyances populaires » est parfois utilisée à titre péjoratif, elle démontre l’importance de la foi. Au XXIème siècle, il a par ailleurs été psychiquement et physiologiquement démontré que l’effet placebo peut être important dans le processus de guérison. Or, la croyance ne repose pas sur le processus de validation scientifique car elle ne s’explique pas rationnellement. Par exemple, le rebouteux possède dans ses mains un don, une énergie magnétique qui lui permet de soigner mais que l’on ne cherche pas à expliquer. La perception est de plus particulièrement importante dans les pratiques populaires. De même, le principe de similarité repose sur la perception : un élément naturel serait apte à soigner un organe précis car on lui trouverait une ressemblance. Ainsi, le corps était le lieu de l’expérience du monde, il permettait à l’individu de s’inscrire dans une communauté. Avec la philosophie mécaniste, le corps est peu à peu considéré comme un attribut et devient un objet de pudeur et de honte. Le soignant, issu de la médecine officielle par opposition à la médecine populaire, ne s’intéresse plus au patient en tant que sujet mais seulement en tant que corps malade. Au contraire, la guérisseuse populaire soigne le sujet selon une vision holistique. La relation de confiance et de transmission entre le soignant et le patient s’est ainsi peu à peu dégradée. L’hyperspécialisation des praticiens dans la médecine moderne renforce ce phénomène : le gastroentérologue soigne l’estomac quand le pneumologue soigne les poumons. Le corps est découpé en organes.
Aujourd’hui, le recours à des médecines dites douces marque une volonté de retrouver une approche holistique du sujet. La rationalisation du monde s’oppose ainsi à la croyance, qui était fondamentale dans les pratiques médicales populaires. Ces dernières ont peu à peu été remplacées par une médecine technique, technologique et spécialisée dans laquelle le patient se retrouve éloigné du praticien.

Aucun commentaire