Femme cueillant de la sauge, illustration tirée d'un manuscrit italien de la fin du quatorzième siècle
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Dans son essai Le Deuxième Sexe, la philosophe Simone de Beauvoir explique comment les femmes ont été peu à peu associées à la nature. Selon cette autrice, les hommes se sont approprié la culture, s’opposant ainsi à la nature qu’ils ont associée aux femmes qu’ils considéraient comme l’altérité incarnée. Simone de Beauvoir cite ensuite l’exemple de civilisations indiennes ancestrales dans lesquelles les femmes, certaines nuits, se rassemblaient dans les jardins pour effectuer des rites censés aider à la fertilisation de la terre (Beauvoir : 1986, p. 121). Les femmes étant celles qui mettent au monde les enfants, elles sont considérées comme toutes désignées pour faciliter les récoltes. Les rites qu’elles pratiquent servent à provoquer la naissance métaphorique des plantes. On voit donc se profiler l’idée d’une relation privilégiée entre femme et nature, et plus précisément entre femme et plante.
Mais avant d’entrer plus en détails dans notre réflexion, quelques précisions s’imposent. Tout d’abord, il s’agit de définir ce qu’est la nature. Selon le Larousse, elle désigne « le monde physique, l'univers, l'ensemble des choses et des êtres, la réalité ». Les plantes, végétaux issus de graines, font donc partie des créations naturelles et non humaines. La nature peut également être définie comme « l’ensemble des principes, des forces, en particulier de la vie, par opposition à l'action de l'homme » (Larousse). Les croyances humaines ont peu à peu attribué à certains êtres la capacité de canaliser et d’utiliser ces forces vivantes. C’est ainsi le cas des femmes auxquelles on prête une relation étroite aux plantes. On voit émerger la figure de la guérisseuse, et ce dès l’Antiquité. Son savoir botanique est utilisé pour guérir les membres de la communauté. Mais la figure de la guérisseuse glisse peu à peu à celle de la sorcière. Alors que le pouvoir de la guérisseuse était reconnu et respecté, celui de la sorcière suscite la peur et le mépris des savants reconnus par un système rationaliste et patriarcal. Certains voient en elle une figure redoutable et mauvaise qui pactise le diable pour capter les forces de la nature : elle use de maléfices, utilise des plantes qui peuvent guérir ou tuer selon son bon plaisir, provoque les orages... Les autres voient en elle une femme au savoir usurpé qui n’a pas à empiéter sur le champ des médecins.
Aujourd’hui, les éco-féministes revendiquent la proximité des femmes et de la nature : pour elles, femmes et nature ont été dominées, exploitées de la même manière par les hommes. Les féministes mettent également en lumière la manière dont le savoir botanique féminin a été décrédibilisé, renvoyé à la sorcellerie et aux contes de bonnes femmes, pour laisser place à des hommes au savoir approuvé par la communauté scientifique. C’est précisément sur cette question que nous nous pencherons à travers notre dossier. En effet, si on s’est souvent questionné·e sur les persécutions subies par les sorcières, on s’est bien moins interrogé·e sur la concentration du savoir botanique chez les femmes. Car comment est-il possible que le savoir botanique féminin, passant de mère en fille, conforté par l’expérience et l’ancienneté, ait pu être rejeté, sous prétexte qu’il n’était pas reconnu par les institutions scientifiques masculines ?
Nous étudierons d’abord la relation privilégiée tissée au cours des siècles entre femmes et plantes (Partie 1 : Les représentations de la femme et de la nature : des représentations sous-tendant un rapport privilégié). Puis, nous montrerons que cette relation étroite a été assimilée à la sorcellerie (Partie 2 : L’utilisation des plantes par les femmes - de la sorcellerie ?). Enfin, nous verrons comment ce savoir a été discrédité par la création et l’organisation des institutions scientifiques (Partie 3 : Le savoir féminin sur les plantes : une pratique rejetée par l’individualisme et la rationalisation de la société à la Renaissance). L’ensemble de notre réflexion se concentrera sur les sociétés occidentales.
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