Loin des pratiques traditionnelles des peuples d’Amazonie, l’Ayahuasca est aujourd’hui devenu un bien commercialisable et surtout une pratique que l’on peut découvrir par des réseaux touristiques très organisés. Ainsi l’Ayahuasca semble devenir le cœur d’un nouveau système économique qui se met en place en Amérique du Sud sur des bases occidentales, que ce soit pour des raisons touristiques ou d’agro-ingénierie.
Photo d'illustration que l'on peut trouver sur un site de fitness canadien : yegfitness.ca
1. Le tourisme chamanique, nouvelle destination à la mode
Le développement de ce tourisme
Depuis le XXème le tourisme chamanique devient une manière de voyager à part entière. Ce tourisme attire de nombreux occidentaux qui voientt l’Ayahuasca et les rituels qui l’accompagnent comme une manière de vivre de nouvelles sensations, s’immerger dans une culture nouvelle accompagnée d’organismes de tourisme de plus en plus sophistiqués qui vantent dans le même temps des conditions d’accueil occidentales. Ce tourisme se développe grâce à des écrits d’auteurs prestigieux relatant la prise de ce type de substances, poussant de nombreuses personnes à vouloir expérimenter cette aventure. Parmi ces auteurs on peut citer Aldous Huxley, l’écrivain de la célèbre dystopie Le meilleur de mondes (1932), qui expérimente différentes substances psychotropes dans les années 50 et relate ses expériences dans des essais comme Les portes de la perception (1954). Plus récemment d’autres auteurs ont mis à disposition du public des récits de leurs expériences chamaniques dont Vincent Ravalec ou Yann Kounen qui ont réalisé des documentaires vidéo et coécrits Plantes et chamanisme : Conversations autour de l’ayahuasca & de l’iboga.
Les différents types de tourisme
L’anthropologue Jean-Loup Amselle relève trois différents types de touristes :
- les touristes mystiques qui partent en quête de visions psychédélique et espère mieux se comprendre ; c’est ce type de tourisme que certains auteurs comme Vincent Ravalec relatent dans leurs ouvrages ;
- les touristes médicaux qui viennent dans l’espoir de trouver des remèdes miracles à leur maladie;
- les touristes « disciples » voulant s’initier à cette pratique pour devenir eux même chamans.
2. Le tourisme comme nouvelle opportunité économique pour certains pays mais difficile à contrôler
La mise en place de nouvelles filières économiques...
A travers cet engouement touristique, il apparaît que l’Ayahuasca est devenu une nouvelle opportunité économique pour certains pays ou groupes privés à but lucratif. En Amazonie sont apparus de véritables business man de l’Ayahuasca, à la tête de filières particulièrement lucratives qui corrompent les médecines traditionnelles Amazoniennes. Ces chamans sont souvent métis voire occidentaux mais prétendent transmettre aux touristes un savoir-faire traditionnel. Ils sont installés dans des grand centres comme celui d’Anaconda Cosmique proche d’Iquitos au Pérou où ils déclarent cependant offrir un confort à l’occidental. Ces centres apparaissent fonctionner comme de véritables entreprises qui font de larges bénéfices sur le dos des traditions amazoniennes. Dans ces centres, les touristes sont accueillis pour des tarifs très élevés, jusqu’à 170$ par jour alors que certains employés locaux ne touchent seulement 250$ par mois, d’après l’article de Jean-Loup Amselle, Le tourisme chamanique en Amazonie.
...que certains pays tentent de contrôler...
Pour certains pays comme le Pérou, ce développement touristique apparaît comme une opportunité économique qui va cependant à l’encontre des usages traditionnels des communautés amazoniennes que ces pays prétendent défendre, le chamanisme ayant été classé au titre de patrimoine culturel par le gouvernement péruvien. Les autorités veulent donc de plus en plus contrôler ce nouveau tourisme pour ne pas se priver d’une manne financière importante tout en gardant un certain contrôle sur les pratiques effectuées sur leur territoire. Ces contrôles pourraient ainsi prendre la forme de demande de certificats médicaux aux touristes arrivant sur le territoire pour s’assurer qu’ils puissent supporter l’absorption de substances très fortes ou alors la publication de listes de chamanes autorisés à opérer, qui deviendrait alors des sortes de praticiens officiels manipulant les traditions amazoniennes. On voit alors que les autorités péruviennes s’orientent vers une médicalisation de ce chamanisme avec un encadrement officiel de pratiques qui n’étaient auparavant utilisées que par certains amazoniens à certains moments particuliers de leur vie sociale.
...pour empêcher les dérives
Cet encadrement apparaît néanmoins essentiel. Les dérives de ces pratiques sont bien réelles, par exemple les accidents médicaux, s’agissant de « pétages de plombs » pouvant mener à des décès chez certains individus. De plus il y a aussi des dérives sectaires qu’il faut prendre en compte, dérives ayant d’ailleurs aboutis à de nombreux procès contre certains organismes chamaniques en France et finalement l’interdiction de l’Ayahuasca en 2008. En effet, la figure du chaman peut rapidement devenir analogue à celle d’un gourou au milieu de ses adeptes, lui conférant une aura particulière pour soutirer de l’argent, aboutir à des rapports sexuels non consentis ou encore avoir une influence psychologique très importante sur ces adeptes, pour les faire rentrer dans le rang. Ces dérives sont réelles bien que difficiles à chiffrer du à la certaine obscurité qui peut planer sur certains centres.
3. L’appropriation du végétal par des firmes économiques à but lucratif
A qui appartiennent les savoirs autour de l'Ayahuasca ?
Un autre défi auquel est confronté l’Ayahuasca est son appropriation par des entreprises à but lucratif. Les traditions autour de cette plante sont des traditions vernaculaires, c’est-à-dire propre à une communauté, produits d’une construction sociale sur une très longue période qui ne peuvent être résumées à un individu qui en serait propriétaire et pourrait en déposer des brevets. Les chamans jouent bien évidement un rôle important dans la transmission des savoirs de la communauté mais les décisions reposent aussi sur des membres de conseils des communautés amazoniennes qui ont leur mot à dire concernant leur savoir traditionnel.
Les échanges et tentatives d'appropriations autour de l'Ayahuasca
Dans le contexte actuel de course à l’innovation, de nombreuses sociétés occidentales, pharmacologiques ou agro-industrielles, tentent de rentrer en contact avec les communautés amazoniennes pour acquérir leur savoir et développer de nombreux produits. Cependant il y a un fort risque d’appropriation de leur savoir traditionnel sans leur consentement et sans échanges. Dans certains cas il peut y avoir des échanges mutuels entre les communautés éthiques d’Amazonie et des sociétés occidentales mais ces échanges sont rares. Il y a alors une nécessité à réguler ces appropriations de savoirs. Certains pays peuvent mettre en place des réglementations sur la propriété intellectuelle de leur communauté ou des institutions internationales peuvent également s’en charger. En effet les entreprises font de l’acquisition d’un « capital-savoir » l’une de leur priorité avec la mise en place au cours des années des possibilités de brevetabilité du vivant (par exemple le dépôt de brevet sur les plantes à reproduction sexué existe au Etats-Unis depuis 1930) et les demandes de brevets augmentent exponentiellement. Des accords ont cependant bien été scellés dans les dernières années entre des communautés et des firmes occidentales. Par exemple depuis 1985, le National Cancer Institute des Etats-Unis conduit un programme de récoltes de plantes tropicales en vu de découvrir de nouveaux médicaments. Il s’est par exemple associé avec la Fédération des peuples awa d’Equateur par des contrats prévoyant la transmission de leurs résultats, des actions en faveur des droits commerciaux des communautés et la construction de centres médicaux. Mais les plantes traditionnelles sont aussi au cœur de « biopiraterie » et de transferts non consentis de leur savoir. Les communautés doivent alors s’organiser pour la défense de ces savoirs. Par exemple en 1999, l’organisation indigène COICA a réussi à faire annuler un brevet sur l’Ayahuasca qui avait été accordé à la Loren Miller de Californie par le bureau des brevets des Etats-Unis. Ainsi, alors que les transferts de savoirs du Sud vers le Nord s’accélèrent par le biais de contrats légaux ou d’appropriation par droits de propriétés controversés dans une économie de marché mondialisée, les communautés comme celles faisant encore de l’Ayahuasca un usage traditionnel doivent s’organiser pour conserver leur savoir et empêcher sa marchandisation.
Bibliographie :
1. Le tourisme chamanique, nouvelle destination « à la mode »
- Amselle, J.-L. (2013). Psychotropiques : La fièvre de l’ayahuasca en forêt amazonienne. Albin Michel.
- Amselle, J.-L. (2014). Le tourisme chamanique en Amazonie. Etudes, février(2), 33 42.
- Kounen, J., Narby, J., & Ravalec, V. (2008). Plantes et chamanisme : Conversations autour de l’ayahuasca & de l’iboga. Mama Éditions.
- France Inter (2013). Le tourisme chamanique, La tête au carré
2. Le tourisme comme nouvelle opportunité économique pour certains pays mais difficile à contrôler
- Amselle, J.-L. (2014). Le tourisme chamanique en Amazonie. Etudes, février(2), 33 42.
- France Inter (2013). Le tourisme chamanique, La tête au carré
- Potiron, J. (2013). L’ayahuasca : Traditions et dérives d’une boisson psychotrope amazonienne [Thèse d’exercice]. Université de Nantes. Unité de Formation et de Recherche de Sciences Pharmaceutiques et Biologie
3. L’appropriation du végétal par des firmes économiques à but lucratif
- Zerda-Sarmiento, Á., & Forero-Pineda, C. (2002). Les droits de propriété intellectuelle sur le savoir des communautés ethniques. Revue internationale des sciences sociales, n° 171(1), 111‑127.
- Centre Jean Bodin, Groupe de recherche angevin en économie et management, & Centre de recherches historiques de l’Ouest. (2012). La protection juridique du végétal et ses enjeux économiques (S. Blondel, S. Lambert-Wiber, & C. Maréchal, Éd.). Economica, impr. 2012.
- Laperche, B. (2009). Stratégies d’innovation des firmes des sciences de la vie et appropriation des ressources végétales : Processus et enjeux. Mondes en développement, n° 147(3), 109‑122.
- Lefevre, P. (2007). A qui appartient la biodiversité ? Alternatives Economiques, n°254(1), 40‑40.
Aucun commentaire