Partie 2 : Un rapprochement possible du fonctionnement cérébral humain avec l’organisation neurobiologique des plantes




     Bien que les relations qui unissent les plantes et les êtres humains soient complexes, la différence physique entre les deux espèces les éloigne d’autant plus. Si l’être humain est parfois doté d’une chevelure, de deux bras et de deux jambes, la morphologie des plantes en est tout autre. De physiologies très variées, les plantes sont généralement constituées d’une tige, ornée de feuilles et de bourgeons, ainsi que de racines. Pourtant, avec cette apparence complètement distincte, il est possible d’aviser un rapprochement du fonctionnement cérébral humain avec l’organisation des plantes. Encore faut-il savoir distinguer cette assimilation.

Les racines : le cerveau des plantes

Réseau synaptique et réseau racinaire : une analogie récente

     L’émergence récente de la neurobiologie végétale dans les sciences végétales, étudiant les cellules à l’extrémité des racines, a permis, depuis peu, de montrer que le réseau racinaire chez les plantes fonctionnait de la même manière que le réseau synaptique chez les êtres humains. Non que l’idée de la neurobiologie des plantes soit une nouveauté compte tenu de certains travaux promoteurs déjà réalisés à la fin du XVIIIème siècle sur le sujet, mais ce n’est que trois siècles plus tard que des messages électriques appelés des potentiels d’action ont été démontrés chez les végétaux rappelant ainsi le fonctionnement synaptique humain. Ce sont essentiellement le professeur Stefano Mancuso, le fondateur de la neurobiologie végétale, ainsi que ses collègues qui traitent et étudient les neurotransmetteurs des plantes et leur neurophysiologie. Des organes cérébraux, a priori propres à l’être humain, peuvent être retrouvés chez les végétaux avec des organes équivalents. Les pôles terminaux cellulaires observés dans les apex des racines des plantes sont l’équivalent, par exemple, des synapses humaines. Ces zones de contact sont des neurones assemblés aux pôles terminaux cellulaires entre des cellules végétales adjacentes à travers lesquels l’auxine et d’autres signaux chimiques sont transportés de cellule en cellule par des voies vésiculaires.

Brins vasculaires : neurones des végétaux

    Une analogie du réseau synaptique et du réseau racinaire est uniquement possible en se penchant de plus près sur les organes végétaux qui sont mis en relation dans le système racinaire. Parmi ces organes figurent entre autres les brins vasculaires qui ne sont rien d’autres en effet que les neurones végétaux. Ils représentent les nerfs des plantes mais constituent également un endosquelette prolongeant la tige jusqu’aux racines afin de former le cylindre vasculaire de la racine. L’auxine chez les végétaux, l’équivalent de neurotransmetteurs, est transporté en fonction de la lumière et de la gravité le long de l’axe antéro-postérieur du corps de la plante. C’est l’auxine qui forme les nouveaux apex des racines ainsi que les deux brins vasculaires que nous connaissons sous les noms de xylème et de phloème. Le xylème est responsable de la transmission de signaux hydrauliques. Tandis que le phloème est assimilé à un canal supra cellulaire spécialisé dans la transmission de signaux électriques commandés par le potentiel d’action. Il est entre autres chargé du transfert des molécules d’ARN. Caractérisée par une harmonie impressionnante de connexion et de coordination des brins vasculaires reliés aux « unités cérébrales », l’organisation neurobiologique des végétaux est donc présentée de la même manière que le fonctionnement cérébral humain à travers ses organes équivalents à l’appareil cérébral humain.
La conscience des plantes : une faculté mentale controversée au sein de la communauté biologique
Si les spécialistes de la neurobiologie végétale ont réussi à démontrer les similitudes entre le réseau racinaire et le système cérébral humain, le sujet de la conscience végétale constitue encore un objet fortement discuté au sein de la communauté scientifique. La conscience est de prime abord propre à l’être humain rappelant une fois de plus cette tendance anthropomorphique qui ne cesse de revenir dans les études des plantes et par ailleurs de toutes les autres entités. Par définition, la conscience est cette organisation du psychisme humain qui, en lui permettant d’avoir connaissance de ses états et de sa valeur morale, lui permet de se sentir exister, d’après le CNRTL. Semblant relever de la psychologie et de la philosophie, la conscience naît pourtant dans le cerveau. Selon la chercheuse à l’Université de Birmingham, Davinia Fernández-Espejo sur le site The Conversation : des zones cérébrales, comme le cortex préfrontal, sont impliquées dans la pensée consciente. Concernant les plantes, les avis des scientifiques divergent. D’une part, la conviction de la conscience des plantes a mené à la naissance de la nouvelle discipline de la neurobiologie végétale. Ces chercheurs, dont le professeur Mancuso, estiment que les plantes ont une conscience dès lors qu’elles sont capables de réagir au toucher et de mettre en place des pièges pour s’approcher de leurs proies. Cependant, d’autre part, d’autres confrères comme le botaniste américain Taiz, affirme que les plantes n’ont pas besoin et donc n’ont pas à développer dans leur évolution, des aptitudes mentales énergivores telle que la conscience pour leur survie ou leur reproduction. C’est ce sens que la question de la conscience végétale peut constituer une différence dans l’analogie entre le système cérébral humain et le réseau racinaire. En somme, si les plantes ont ou non une conscience, les scientifiques eux-mêmes en discutent encore et n’en n’ont pas les preuves évidentes. Peut-être accéderons nous à des réponses à cette question le jour où nous arriverons à nous détacher de la définition de la conscience humaine pour définir ce qu’est la conscience.

La communication : une faculté végétale secrète et utile
     La communication est vitale pour tout être vivant : elle permet d'éviter les divers dangers et de connaître l’environnement qui nous entoure pour rendre notre vie plus simple. Les végétaux, étant des êtres vivants sont évidemment dotés de cette faculté.
Une sociabilité indispensable aux plantes : entre entraide et symbiose
     L’organisme des plantes pourrait être associé à l’ampleur d’un réseau car les plantes possèdent de multiples centres de commandes interdépendants. Ainsi, si un herbivore attaque une feuille, il faut que la plante dans son entièreté en soit informée. Or, les plantes n’ont pas de nerfs permettant de transmettre directement des signaux électriques contenant les informations à un système central (étant donné qu’elles n’en possèdent pas). Ainsi, pour se transmettre des informations, les plantes utilisent des signaux électriques, chimiques et hydrauliques. Les signaux électriques se déplacent d’une cellule à une autre grâce à l’ouverture de parois cellulaires. Mais ce système est efficace pour des trajets relativement courts. Pour des trajets plus longs, elles utilisent leur système hydraulique fonctionnant comme un système vasculaire. Ce système hydraulique est très utile car il permet en cas d’ouverture de la plante de limiter la perte de tissus. En effet, si on coupe une tige par exemple, on peut apercevoir du liquide qui sort à l’endroit de la coupure. Cette « défaillance hydraulique », selon Mancuso, permet d’alerter la totalité de la plante afin de cicatriser au plus vite. Quant aux derniers signaux, les signaux chimiques, nous en parlerons plus tard, lorsque nous aborderons la communication entre animaux et végétaux.
 
     Les plantes sont sociables quand elles effectuent la symbiose qui est un échange entre deux organismes vivants. Par exemple, les plantes peuvent évacuer des sucres qui profitent aux champignons. Ces derniers mettent alors à disposition des nutriments qui profitent aux plantes pour leur croissance.
Une communication s’effectuant entre espèces végétales…
     Au sein du monde végétal, les plantes peuvent communiquer entre elles grâce au toucher (avec les racines ou les parties aériennes) mais les rapports sont différents si elles appartiennent à la même famille ou non. En effet, si les plantes reconnaissent que leurs voisines sont étrangères à leur espèce, elles peuvent établir une ruse appelée « fuite de l’ombre ». Cette mécanique représente une compétition entre deux espèces végétales afin d’attirer le plus de lumière possible permettant une meilleure croissance. Les feuilles se positionnent alors d’une façon particulière, ce qui permet de mettre l’autre espèce végétale à l’ombre. De plus, pour continuer à marquer leur territoire, les plantes peuvent allonger la taille de leurs racines pour qu’au moindre contact, leurs voisines comprennent que c’est le territoire d’une autre plante. Cela leur nécessite beaucoup d’énergie, c’est pourquoi leur partie souterraine est plus développée que leur partie aérienne. En revanche, si leurs voisines appartiennent à la même espèce qu’elles, les plantes peuvent réduire la taille de leurs racines pour leur laisser un maximum de place. Les plantes utilisent donc moins d’énergie, au profit de leur partie aérienne. Il y a donc bien une notion de partage entre les membres d’une même espèce.
...mais également avec le monde animal
     La première forme de communication avec le monde animal est la dissuasion. En effet, quand un insecte attaque une plante, cette dernière va généralement mettre en place un mécanisme permettant sa protection. Ce mécanisme repose sur les signaux qu’on avait délaissés, deux paragraphes auparavant, à savoir les signaux chimiques. La plante va produire des substances chimiques qui, étant peu appétissantes voire toxiques, vont dissuader l’insecte de s’attaquer à la plante. La seconde forme de communication avec le monde animal est la coopération. Cette coopération s’effectue le plus souvent lors de l’étape de la pollinisation permettant la reproduction des plantes. Chez de nombreuses plantes, la fertilisation est due grâce au pollen (représentant l’équivalent végétal du sperme). Les plantes reçoivent alors du pollen lorsque les insectes reçoivent une partie du nectar sécrété par les plantes. Il y a donc un véritable échange qui s’opère. Pour continuer sur la reproduction des plantes à travers le prisme de la communication, qui est une activité nécessitant une certaine sociabilité, nous nous apercevons que les plantes peuvent avoir des qualités ou des défauts. C’est le cas de l’orchidée Ophrys Apifera, qui pour s’assurer du bon déroulement de la pollinisation, prend l’apparence d’une guêpe ou d’une abeille avec la même odeur, la même forme et la même consistance. Certains insectes mâles sont alors trompés par cette ruse et pollinisent l’orchidée. Enfin, la coopération s’opère également chez certains arbres présents dans des lieux au climat tempéré voire tropical. Mancuso pour expliquer cette forme de coopération prend l’exemple du cerisier. Cet arbre possède des fleurs blanches permettant d’attirer les abeilles pour l’étape de la pollinisation. Les fruits produits par cet arbre sont rouges, couleur qui attire les oiseaux et qui n’est pas perçue par les abeilles (chaque insecte ou animal se voit donc attribuer un rôle spécifique pour le bon déroulement de la vie de la plante). Quand les fruits ne sont pas encore mûrs, ils sont verts donc les oiseaux ne les discernent pas et pour s’assurer que les oiseaux ne mangent pas les fruits à un mauvais moment, le cerisier va produire certaines des substances chimiques évoquées précédemment. Une fois mûrs, les animaux vont se nourrir ces fruits de l’arbre puis rejetteront les graines par leurs excréments. Cela mène à une dispersion des graines de l’arbre qui assure la descendance de l’arbre.

L’adaptabilité : point culminant de l’appropriation de l’intelligence pour les plantes
      Les plantes sont donc fournies en systèmes fonctionnels leur permettant d’agir concrètement sur leur environnement et de s’y adapter. L’adaptabilité des végétaux peuvent se faire de différentes manières grâce entre autres à leurs capacités sensitives et à leurs aptitudes de plasticité.
Un monde végétal pas si inerte
     Pour de nombreux scientifiques les plantes ne peuvent être dotées de facultés intellectuelles car elles ne peuvent se mouvoir. Ils se méprennent alors sur l’équation mouvement égal intelligence. En effet, nous avons déjà souligné la capacité des plantes à communiquer entre elles mais également avec le monde extérieur. Il leur faut accorder, de plus, des capacités dynamiques. Une nouvelle fois nous utilisons nos lunettes anthropocentristes qui nous obscurcissent la réalité des faits. Le mouvement selon l’être humain n’est pas le mouvement effectué par la plante. Nous n’utilisons évidemment pas les mêmes échelles temporelles. Ainsi, la plante se meut à un rythme qui ne nous est pas perceptible. La plante se voit donc capable de réagir suite à un danger et peut optimiser sa croissance en se déplaçant dans des endroits propices à son développement. Bien que l’intelligence ne se réduise pas aux capacités dynamiques, les plantes ne doivent pas être exclues pour cause de fixité. Ces phases de mouvement répondent à des nécessités vitales pour la plante. En effet, celle-ci est sensible à son environnement et s’adapte face aux dangers et aux obstacles qu’elle rencontre.
Des plantes aux nombreuses capacités sensitives
     Pour de nombreux scientifiques, sensibles à la recherche de l’intelligence chez les plantes, on ne peut parler de pensées végétales mais plutôt de calculs. En effet, grâce à leurs différentes fonctions internes, elles évaluent les situations et sont alors capables d’intentions. Elles peuvent ainsi prévenir des compagnons en présence d’un danger ou encore filtrer leur alimentation. La plante n’a pas de cerveau mais se comporte comme un cerveau. Il faut alors penser la nature comme pleine d’une agentivité. Elle est bien réceptive aux informations extérieures et agit en fonction de ces paramètres. Cela peut par exemple être une évaluation du terrain ou encore des échanges avec une même espèce. En effet on sait que les plantes ressentent une gamme de variables extérieures telles que la lumière, l’eau, la température, les substances chimiques, les sons et la pesanteur. Elles peuvent également réagir, c’est à dire montrer de rivalité entre elles pour la recherche de nourriture par exemple. Enfin, quand une plante est endommagée elle envoie des signaux électriques similaires à ceux que notre corps utilise pour signaler la douleur. Nous ne pouvons donc nier que la plante est sensible et capable d’intention. Or, être capable d’intention dans le but de s’approprier un espace pour vivre, n’est-ce pas là un exemple même de comportement intelligent ?
La plasticité de la plante : se protéger et choisir
     La science a prouvé que les plantes peuvent faire l’apprentissage du monde qui les entoure en utilisant des mécanismes cellulaires semblables aux nôtres même si elles sont dépourvues de cerveau. L’adaptation des plantes est donc assurée par des mécanismes de plasticité et de mémoire. Un exemple : la cuscute. Cette plante se déplace en s’enroulant autour d’une autre espèce et évalue leur quantité nutritionnelle. Si cette quantité lui convient elle consent à rester. Sinon elle part vers une autre espèce. La plante est donc tout à fait capable de prendre des décisions suite à l’évaluation de son environnement. On envisage même la possibilité pour les végétaux de modifier leur propre génome et ainsi de se protéger. Par exemple, en Afrique du Sud, de nombreuses antilopes sont mortes pour des raisons mystérieuses. A la suite d’une enquête on découvre que les bêtes avaient été empoisonnées par des feuilles d’acacias dont elles se nourrissent habituellement. Les arbres ont donc modifiés leur composition chimique afin d’empoisonner les antilopes, devenues nuisibles par leur nombre grandissant. Les végétaux adoptent un comportement adaptatif qui varie en fonction de leur vécu, car oui, les végétaux possèdent la mémoire. En effet, ces modifications et cette plasticité ne peuvent s’effectuer qu'à la suite événements récurrents pour la plante. Le système interne à la plante lui permet donc de s’adapter à son environnement car elle est capable de mémoire, de dynamisme et est réceptive aux informations extérieures.


Bibliographie : 
Mancuso, Stefano. 2018. L’intelligence des plantes. Albin Michel.
Science-et-vie.com. 2017. « Intelligence des plantes : les secrets de la "cognition végéta... - Science & Vie ». 22 novembre 2017. https://www.science-et-vie.com/archives/revelations-sur-l-intelligence-des-plantes-elles-pensent-22921. 
Thellier, Michel. 2015. Les plantes ont-elles une mémoire ? Versailles, France: Ed. Quae.
Thongo M’Bou, Armel. 2008. « Etude du système racinaire de l’Eucalyptus en plantation tropicale : analyse architecturale, croissance et respiration ». Thesis, Nancy 1. http://www.theses.fr/2008NAN10039.
Kichah, Emmanuelle. 2016. « Architecture racinaire des espèces herbacées : diversité de mise en place et plasticité ». Thesis, Avignon. http://www.theses.fr/2016AVIG0675.
Baluška, František, Stefano Mancuso, et Dieter Volkmann. 2006. Communication in Plants: Neuronal Aspects of Plant Life. Berlin, Heidelberg, Allemagne: Springer Berlin Heidelberg.

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