Partie 3 : Mise en perspective avec les axes du politique et du scientifique enchevêtrés, à la rencontre de la controverse : regard sur les OGM du point de vue du juridique et de la recherche




A) Des intérêts en jeu : le rôle des lobbys et l’enjeu de la production de la connaissance, aussi productrice de doute
1/ Les marchands de doute, ouvrage de Naomi Oreskes et Eric M. Conway  
            Dans leur ouvrage Les marchands de doute, publié en 2010, Oreskes et Conway affirment qu'une « faible quantité de personnes peuvent avoir une grande influence négative, particulièrement si elles sont organisées, déterminées et qu'elles ont accès au pouvoir ». Sans que cet ouvrage n’aborde directement la question des OGM, il désigne deux scientifiques, Seitz et Singer, comme ayant utilisé leurs relations dans la communauté scientifique et dans le monde des médias pour influencer le débat public sur des questions de santé comme le tabagisme. Ils ont été grandement critiqués par la communauté scientifique mais cela n’a pas entièrement discrédité leur influence. On ne peut pas considérer leur avis scientifique comme objectif étant donné que, par exemple, Singer a coécrit un ouvrage portant sur les faibles risques du tabac, financé par le « Tobacco Institute ». La provenance des financements ne permet pas de considérer la publication comme objective car des intérêts financiers entrent en jeu et qu’il serait absurde et naïf de penser qu’une compagnie ayant des intérêts dans la vente de tabac finance une étude discréditant les produits qui lui rapportent du profit. Si cet ouvrage se penche sur les questions du réchauffement climatique et du tabagisme, le modèle présenté peut être appliqué à la question des OGM et de leur investigation médiatique. 
2/ Trop d’information tue l’information 
            Ces dernières années, comme nous avons pu le voir plus haut, de nombreuses études ont été réalisées pour évaluer les dangers, risques et la toxicité des OGM. Cependant, les camps semblent toujours radicalement divisés et les affirmations subjectives : les organisations de production et de commercialisation à base d’OGM affirment à coups d’études et d’avis d’experts le bien-fondé et la pertinence économique de la vente de produits OGM. Tant et si bien que les nombreux avis contradictoires laissent parfois le consommateur perplexe, quand une approche plus ciblée du problème permettrait peut-être de résoudre la question. 
            Cependant, de nombreux activistes anti-OGM ont oeuvré en France et en Europe pour la lutte contre les OGM et PGM, notamment avec des actions radicales médiatisées comme des destructions de plantations. Cela reste paradoxal car ces plantations étaient  pour la plupart destinées à l’étude du potentiel dangereux ou non des OGM : ainsi la recherche est limitées, bloquée, et coûteuse en terme de protection des plants. 
3/ Les lobbys et le politique dans les OGM 
            En 2012, de nombreux lobbyistes présents à l’Assemblée Nationale (travaillant pour Monsanto ou Bayer Cropscience notamment) sont écartés du débat afin, manifestement, qu’ils n’interfèrent ni n’influencent pas les discussions quant aux OGM et aux restrictions éventuelles pouvant être envisagées suite au débat provoqué par les résultats de l’étude du professeur Séralini mentionnée plus bas en B) 1). Le fait que ces « agents d'influence » accrédités à l’Assemblée Nationale aient été écartés semble de prime abord être une décision judicieuse compte tenu de la nature des débats. Pourtant, on peut aussi supposer que leur écartement ait pour but d’éloigner tout soupçon d’influence dans les décisions à prendre : en effet, nul n’ignore que les gros lobbies mondiaux comme Monsanto peuvent se permettre de nombreuses démarches d’influence en toute impunité, notamment auprès des députés de l’Assemblée Nationale. Politiquement, la question reste controversée car la sphère d’influence d’organisations au poids économique aussi lourd que Monsanto reste quasiment inébranlable. 

B) Le fonctionnement interne de la communauté scientifique comme générant des problèmes pour la considération objective du problème des OGM. 
1/ Des souris et des OGM : toxicité et médias. 
            En 2012, Gilles Eric Séralini publie une étude sur la toxicité des OGM dans l’alimentation des rats, prouvant le danger manifeste des OGM. Cette étude a pour résultat immédiat un déchaînement médiatique gigantesque : Séralini est écouté, diffusé, relayé et surtout publié. Les résultats confirment la toxicité soupçonnée des OGM à un niveau inquiétant. Des dizaines de lettres de soutien de ses collègues sont aussi publiées, mais aussi 17 critiques de Monsanto et de ses « sbires », qui réfutent les accusations de Séralini. Nous pouvons comprendre ce phénomène et comment on en est venu à douter des thèses de l’étude : au départ, la publication a beaucoup de retentissement car on y voit trois photos de rats : le premier est nourri au maïs OGM, le second a bu du pesticide Roundup et le troisième rat a été alimenté avec les deux. Là est tout le problème : il n’y a pas eu de rat-témoin, et on se rend compte que les résultats ne sont donc pas valables car l’espèce a tendance à naturellement développer des tumeurs en vieillissant. Pourtant, le retentissement de l’étude s’explique par d’autres biais : Séralini avait de nombreux alliés médiatiques, que ce soient des journalistes ou des politiques. On parle d’une opération scientifico-médiatique : les résultats incriminant la toxicité des OGM auraient été bénéfiques aux scientifiques et activistes engagés contre le problème des OGM et de leur toxicité. Seulement, la subjectivité était ici un enjeu et un problème majeur. 
2/ Le système de validation de la publication scientifique 
            Pour qu’une étude scientifique soit réalisée, elle a besoin de récolter un certain nombre de fonds financiers : le laboratoire scientifique qui réalise l’étude, le chercheur ou la chercheuse, a ou ont besoin de ressources financières et humaines. Ensuite, pour qu’une publication voit le jour il faut qu’elle soit validée par un comité de lecture. 
            La recherche fondamentale consiste à faire des expérimentations et des essais dans le but d’acquérir de nouvelles connaissances dans une discipline, sur un sujet donné. Elle a pour but d’explorer les fondements de phénomènes, sans but particulier. A l’inverse, la recherche appliquée est souvent financée par des entreprises privées, et c’est en cela que concernant les OGM, ce type d’études doit être considéré avec précautions. 

C) Législation et acteurs juridiques pour les OGM 
1/ Évolution globale de la législation
            Certains pays interdisent la vente, la commercialisation et la culture des OGM mais demeurent très rare : pour beaucoup, la culture OGM est interdite mais pas l’importation et la commercialisation de produits issus de ce type de cultures. En 2013, seuls trois pays au monde avaient totalement interdit et la vente et la production : la Zambie, la Serbie et le Bénin. 
2/ En Europe : les raisons et mécanismes d’un durcissement de la réglementation 
            Dès les années 80, l’Allemagne et le Danemark poussent la Commission Européenne à réglementer l’utilisation des OGM au sein de l’Union Européenne. Cependant, jusqu’en 1998 la Commission accorde plus de 18 autorisations. Aujourd’hui, on a tendance à parler d'interdiction des OGM en Europe, mais c’est un propos à nuancer : on ne donne pas de nouvelles autorisations. Celles, toujours appliquées, anciennement délivrées concernent par exemple le maïs, le soja ou le tabac. Pourtant en 2010 une autorisation est délivrée pour la mise sur le marché d’une pomme de terre génétiquement modifiée, l’Amflora
Bibliographie :
A)
DATEE, Yvette, Pourrons-nous vivre sans les OGM ?, Paris, Editions Quae, 2014
FEILLET, Pierre, Quel futur pour notre alimentation ?, Paris, Editions Quæ, 2014
ROBIN, Marie-Monique, Le monde selon Monsanto : De la dioxine aux OGM, une multinationale qui vous veut du bien, Paris, La Découverte, 2008
TESTART, Jacques, A qui profitent les OGM ?, Paris, C.N.R.S Edition, 2013

B)
BONNEUIL, Christophe, « Cultures épistémiques et engagement public des chercheurs dans la controverse OGM », in Natures Sciences Sociétés, Vol. 14, n° 3, 2006, p. 257-268
CAMPARDON, Myriam, LUSK, Jayson, ROZAN, Anne, « Acceptabilité des consommateurs face à un OGM de seconde génération : le riz doré », in Revue d’économie politique, Vol. 117 n°5, 2007, p. 843-852
DEMORTAIN, David, « Comment faire preuve en régime de controverse ? Retour sur l’histoire de l’évaluation des OGM », in Hermès, La Revue, Vol. 73, n° 3, 2015, p. 122-128
DEMORTAIN, David, « L'étude Séralini et ce qu'elle nous apprend sur la toxicologie réglementaire », in Natures Sciences Sociétés, Vol. 21, n° 1, 2013, p. 84-87
ERNER, Guillaume, « Superfail : Rats nourris aux maïs OGM, une étude qui ne prouve rien » [en ligne], in France Culture, 30/09/2019. Disponible sur <https://www.franceculture.fr/emissions/superfail/titre-non-definitif-affaire-seralini-et-marcel-kuntz-lundi-30-septembre-2019>

C)
HERVIEU, Bertrand, MAYER, Nonna, MULLER, Pierre, et alli., Les mondes agricoles en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2010
SÄGESSER, Caroline, « Le dossier des OGM dans les instances internationales », in Courrier hebdomadaire du CRISP, Vol. 1724, n° 19, 2001, p. 5-34
SCHIFFINO, Nathalie, VARONE, Frédéric, La régulation politique des OGM, Courrier hebdomadaire du CRISP, nº1900, 2005




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