Pourquoi Miyazaki n'est pas le "Disney japonais"


[j’ai] toujours aimé les films de Chaplin, parce qu'ils aspirent le public vers le haut. On en sort meilleur. Chez Walt Disney, c'est le contraire, on sort au même niveau que celui auquel on est entré.

Hayao Miyazaki, le13 avril 2002


     Le réalisateur japonais Hayao Miyazaki a, au cours de sa carrière, souvent été qualifié de « Disney Japonais ». Il s’agissait vraisemblablement d’une comparaison élogieuse, cependant peut-on réellement mettre Disney et Miyazaki dans un seul et même panier ?
 
     Tout d’abord, notons que l’expression est floue : que désigne « Disney » ? Le réalisateur ? Les studios ? La logique voudrait qu’on compare un réalisateur avec un autre réalisateur, cependant Walt Disney et Hayao Miyazaki n’appartiennent pas à la même génération, ce qui pourrait expliquer les différences entre les films dont ils ont dirigé la création. Pourtant si on part du principe qu’il s’agit des studios, un autre souci se pose : on compare alors un seul réalisateur à plusieurs. Il nous semble cependant plus pertinent de comparer les films de Miyazaki à ceux produits par les studios Disney entre 1984 (date de sortie de Nausicaä de la Vallée du vent) et 2013 (date de sortie du dernier film de Miyazaki : Le vent se lève). Les longs-métrages sont listés en fin d’article. Notez que nous nous bornons aux films qui nous ont paru les plus emblématiques des studios Disney en suivant la question : « A quels films pense-t-on quand on entend "Disney" ? ».
 

La rivalité selon Andrew Osmond: l’antagoniste et l’animation

      Andrew Osmond publie un article dans lequel apparaît une comparaison entre les films de Disney et de Miyazaki. Cette comparaison abordant plusieurs sujets, nous parlerons principalement de ses idées quand à l’apparition d’un antagoniste et les décors utilisés qui sont fondamentalement différents.
 
Il est important de remarquer dans un premier temps que l’un des effets les plus importants et les plus dramatiques dans l’univers de Disney est créé par l’apparition d’un « grand méchant », la plupart du temps avec peu de profondeur et de développement en tant que personnage. À part quelques films tels que Cagliostro ou Laputa où les héros rencontrent de véritables adversaires avec des intentions malignes, Osmond conclut que les films de Miyazaki présentent tout simplement une absence de personnages maléfiques. Il faut aussi noter que dans les films du réalisateur japonais, les vilains, s'ils sont présents, ne gardent pas toujours les mêmes valeurs et sont parfois contraints à changer de camp pour pouvoir continuer à suivre leurs initiatives. Lorsque les films ne comprennent aucun vilain, l’histoire est centrée sur le développement personnel du personnage principal et ses relations avec ses alentours, comme Nausicaä avec la fukai par exemple. Chez Disney, le développement des personnages est souvent limité par ses vilains, puisque la plupart des interactions qui font grandir les héros en tant que personnage sont celles entre le personnage principal et son principal antagoniste.
 
Mais la différence ne s’arrête pas là selon lui : il s’agit aussi de parler de la qualité de l’animation entre les deux. En effet, il est difficile de voir un Disney avec une animation médiocre dû à la popularité des films chez une plus grande audience et surtout plus jeune, et puisque les films de Miyazaki se concentrent principalement sur l’histoire et le développement scénaristique des personnages, il est rare de voir les films japonais atteindre les mêmes qualités d’animation que les blockbusters américains, même si parfois l’écart n’est pas si grand que ça. De plus, comme le décrirait Gersende Bollut, Miyazaki porte une attention tout à fait particulière à l’animation de la nature environnante, ce qui prend une part considérable du budget. Avec ses designs plus cartoonesques, les films Disney réussissent à créer une animation plus raffinée au niveau des personnages, au détriment de facilités scénaristiques et de nombreux clichés. Selon Osmond, ce sont les designs de second plan dans les films de Miyazaki qui en font tout le sublime, dont les décors surnaturels qui entourent souvent les personnages dans Laputa ou Nausicaä, et en font des films d’excellente qualité scénaristique encore de nos jours.
 

De l’amour dans l’air…

Lorsqu’il s’agit de relations entre personnages, la question d’introduire une relation amoureuse se pose souvent. Ce type de relation ajoute en effet une intrigue romantique dans l’histoire, en plus de la dimension initiatique souvent présente chez Miyazaki et Disney. Si des deux côtés, on ne se prive pas d’introduire des histoires d’amour, on peut noter que leur traitement est très différent.
 
Chez Miyazaki, le thème amoureux est décliné de plusieurs manières, lorsqu’il n’est pas simplement absent comme c’est le cas dans Nausicaä de la vallée du vent et Mon voisin Totoro.
 
Chez Disney, il est plus rare que l’amour soit totalement absent, on peut noter cependant les cas de Frère des Ours et des Mondes de Ralph, dont l’histoire principale est plutôt basée sur la notion d’amitié.
 
Pour ce qui est des différentes déclinaisons chez Miyazaki, on peut d’abord noter que la relation amoureuse n’est pas toujours explicite, elle est parfois suggérée sans que le dénouement ne soit donné au spectateur, on lui laisse alors toute liberté dans l’interprétation de la relation. C’est plutôt à lui de choisir s’il s’agit d’amitié ou d’amour. On retrouve cela dans Princesse Mononoké : s’il est plusieurs fois suggéré qu’Ashitaka a des sentiments pour San, on ne sait pas ce qu’il en est de la princesse. Au mieux devine-t-on que sa relation avec Ashitaka la déstabilise puisqu’il lui faut déjà accepter l’idée de ne pas détester un être humain. Enfin, le dénouement n’apporte pas de réponse au spectateur : à lui de choisir s’il s’agit d’une amitié forte ou d’un amour naissant. Il en va de même dans Le Voyage de Chihiro, Kiki la petite sorcière et Le Château dans le ciel : d’une part le jeune âge des personnages rend l’idée d’une relation amoureuse moins crédible, d’autre part le spectateur a le choix de décider qu’il s’agit d’un amour d’enfance, ou d’une amitié qui se transformera plus tard. On voit en tout cas que rien n’est explicite, à l’image de la réalité : les sentiments amoureux n’apparaissent pas d’un coup et ne sont pas très clairs (à part peut-être chez Ashitaka).
 
Chez Disney, on note assez peu de relations ambigües de ce type : le seul cas paraît être Mulan où aucune déclaration d’amour explicite n’est montrée.
 
Pour autant, Miyazaki ne néglige pas les relations amoureuses réciproques, même si elles ne s’accomplissent pas toujours, avec Porco Rosso, Le Château ambulant, Le vent se lève et Ponyo sur la falaise. Parmi les quatre Le Château ambulant et Ponyo sont les seuls où l’histoire finit bien : Sophie et Hauru vivent ensemble dans le château avec Calcifer, Ponyo a rejoint Sosuke chez les humains dans le cadre d’un amour plus enfantin. Inspiré de la vie de l’ingénieur d’aviation Jirö Horikoshi, Le vent se lève rend compte de la relation de Jirö avec Nahoko, qu’il épousera malgré qu’elle soit atteinte de la tuberculose - elle mourra malheureusement quelques temps plus tard. Enfin dans Porco Rosso, Marco et Gina semblent ne jamais devoir finir ensemble malgré ce qui ressemble à un amour réciproque. On notera que les séparations n’ont jamais vraiment le même goût puisqu’elles ne se font pas de la même façon ni dans la même ambiance. Leur pluralité rend plus riche le thème amoureux chez Miyazaki.
 
Chez Disney au contraire, l’idée du « grand amour » qui dure toute la vie prédomine. La petite sirène, La Belle et la Bête, Aladdin, Le Roi lion, Pocahontas, Hercule, Mulan, Tarzan, La Princesse et la Grenouille, Raiponce, Le Bossu de Notre-Dame et La Reine des neiges : dans tous ces films, l’intrigue amoureuse occupe une place prépondérante voire centrale (sauf la Reine des neiges où la relation Anna-Kristoff semble plus secondaire). Si les deux personnages concernés cheminent durant tout le long-métrage, le spectateur s’attend à ce qu’ils tombent amoureux. On peut noter que souvent, l’un des deux est rapidement amoureux et cherche à intéresser l’autre. Dans tous les cas (sauf Pocahontas) le dénouement les réunis inévitablement et célèbre leur amour.
 

Un Exemple précis : Ponyo sur la falaise (2009) et La petite sirène (1989)

     Ponyo sur la falaise de Miyazaki et La Petite Sirène de Disney sont deux histoires où l’héroïne éponyme est un poisson qui découvre le monde humain. Il est donc intéressant d’étudier les différences et les similitudes entre ces deux dessins animés.
 
Il semblerait que les deux dessins animés aient été inspirés par le conte de Hans Christian Andersen intitulé La Petite Sirène. Les paysages de Miyazaki ont cependant été inspirés par ceux du Japon d’aujourd’hui.
 
Les personnages principaux de Ponyo sur la falaise sont Ponyo, une petite fille poisson rouge, Sosuke, un petit garçon de cinq ans et Fujimoto un ancien sorcier qui vit au fond de la mer. Les personnages principaux de La Petite Sirène sont similaires à ceux de Ponyo. Il y a Ariel, la petite sirène, Polochon, le meilleur ami poisson, Ursula, la méchante sorcière poisson-pieuvre et Prince Eric, le prince charmant.
 
Ponyo sur la falaise est un long-métrage adapté à un vaste public alors que La Petite Sirène cible davantage une jeune audience. Et pour cause, les personnages de La Petite Sirène sont des petits animaux colorés assez mignons qui abordent le thème de l’amour, de l’amitié et qui ressentent de la joie, de la peur ou de la tristesse. Le rapport à la violence est atténué. Ponyo sur la falaise est quant à lui une histoire plus complexe. Les personnages sont plus humains mais restent attractifs pour les enfants. La violence et les scènes effrayantes sont moins dissimulées, ce qui rend l’œuvre plus réaliste. De plus, les personnages sont en proie à des sentiments complexes qui répondent à des situations difficiles. Le message de cette histoire est plus large que celui de La Petite Sirène car Miyazaki, en plus de parler d’amour et d’amitié, aborde le thème de la tolérance, de l’écologie et de l’humanisme.


Liste des films utilisés

Miyazaki

• 1984 : Nausicaä de la vallée du vent

• 1986 : Le château dans le ciel

• 1988 : Mon voisin Totoro
• 1989 : Kiki la petite sorcière
• 1992 : Porco Rosso
• 1997 : Princesse Mononoké
• 2001 : Le voyage de Chihiro
• 2004 : Le château ambulant
• 2008 : Ponyo sur la falaise
• 2013 : Le vent se lève

Disney :
• 1989 : La Petite Sirène
• 1991 : La Belle et la Bête
• 1992 : Aladdin
• 1994 : Le Roi lion
• 1995 : Pocahontas
• 1996 : Le Bossu de Notre-Dame
• 1997 : Hercule
• 1998 : Mulan
• 1999 : Tarzan
• 2003 : Frère des ours
• 2009 : La Princesse et la Grenouille
• 2010 : Raiponce
• 2012 : Les Mondes de Ralph
• 2013 : La Reine des neiges

Sources:
  • Osmond, Andrew. 1998. « Nausicäa and the Fantasy of Hayao Miyazaki ». SF journal Foundation, Printemps 1998, 72 édition.
  • Bollut, Gersende. 2014. « Le traitement du thème de l’homme face à l’environnement dans l’œuvre de Hayao Miyazaki ». Mémoire de Maîtrise, Université Charles de Gaulle Lille 3.


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