Val Plumwood : être une proie


En 1985, Val Plumwood échappe de justesse à un crocodile d’eau salée. Cette expérience bouleversante, où elle devient pour un autre être une denrée nutritive, l’amène à ré-envisager la question de la prédation et à prendre la mesure de notre animalité et de notre corporéité. Le texte en The eye of the crocodile montre en quoi le fait d’être une proie permet de reconsidérer en termes écologiques l’imaginaire de la nourriture et de la mort, ouvrant par là des perspectives nouvelles et décalées sur les débats autour de l'alimentation et du véganisme.

Vous trouverez ICI une traduction parue dans la revue Terrestres.

Contre l’idée d’une exceptionnalité humaine séparant l’humanité de la nature, les êtres humains sont de la nourriture pour beaucoup d’autres organismes. Nous ne sommes pas en dehors de la chaîne alimentaire : nous faisons partie du festin. Il s’agit par là de se confronter à la réalité de l’incarnation, à notre appartenance au règne animal en tant que denrée alimentaire, en tant que corps, et à notre affiliation avec ceux que nous mangeons. Se concevoir sous les traits d’une nourriture utile pour d’autres, et se comporter comme tel, est un moyen non seulement de trouver une place dans le monde sous un jour plus égalitaire, mais aussi d’affirmer la solidarité qui nous lie aux autres vivants.

L’enjeu est ainsi de prendre au sérieux les perspectives critiques et multidimensionnelles de Val Plumwood en termes d’épistémologie symbiotique. Il s’agit de se concevoir comme membres d’une communauté terrestre élargie, se soutenant et s’alimentant réciproquement. Cette tâche implique de décoloniser et d’écoféminiser la pensée, et de mettre en œuvre, contre l’histoire dominante, des histoires de nourriture plus qu’humaines, faites d’enchevêtrements de lignes de vie et de morts, au sein d’agencements écologiques et politiques.

Val Plumwood (1939-2008)

 

Bibliographie

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